Fabrice Mignot, imaginez un physique de grand méchant avec une voix de gentil . A peine arrivés dans sa boutique, il commence à nous raconter sa vision de l’expatriation et ses interrogations quant à la tendance à l’expatriation qu’on les français. Hé oui, car la population française est une des populations à s’expatrier le plus ! Lisez plutôt :
« Comment se fait-il qu’un mec qui a fait l’ENSGI Grenoble, Maths sup maths spé, préfère travailler ici au Laos que dans des grandes boites françaises? Pourquoi est-ce qu’on se barre ? Pourquoi notre État parie sur nous et nous paie des études alors qu’on part vivre à l’étranger? Les Français se focalisent sur l’immigration alors que ce n’est pas du tout un risque. C’est un flux de travailleurs jeunes qui veulent prendre les boulots industriels qui n’intéresse plus personne. A l’inverse, ce qu’on perd en élite est une vraie préoccupation. Alors que dans d’autres pays, les dirigeants parviennent à faire étudier leur population dans un pays occidentale et les faire revenir ! EnFrance on a une super qualité de diplôme mais il n’est malheureusement pas compétitif ! C’est quand on s’expatrie qu’on se rend compte qu’on a un super niveau !»
Voici les premiers mots de Fabrice, vous comprendrez que cette interview sera un peu différente des autres. Nous avons choisi de retranscrire les messages qui nous ont le plus frappés de notre discussion avec lui.
Fabrice: Ma mère était dans l’import-export de pierres et j’ai voulu monter ma boutique de bijoux rigolos. Dès le début, je voulais faire des produits de qualité. Je savais que dans les 3 ou 4 années à venir, les Chinois arriveraient et feraient des trucs basiques. Mon objectif était d’avoir chaque année 10% de nouveaux produits. On est lancés depuis 10 ans et l’essentiel de notre offre est composé de produits originaux. Ici ils essayent de faire des trucs originaux mais c’est très dur parce qu’ils n’ont pas du tout l’esprit créatif. Ils ne savent que copier. En plus, le non contrôle de l’importation baisse la créativité. Pourquoi ils s’embêteraient à aller inventer les petits éléphants en bois alors qu’ils peuvent aller les chercher directement en Thaïlande et les vendre 3 ou 4 fois le prix ici ? Ce qui est sûr c’est que si tu décides de venir ici en faisant des trucs qui te permettent de te faire une marge de 3 à 4 fois ton coût de production, tu seras copié. Moi je me suis implanté ici sur le long terme. Je ne veux pas de ça. Je veux que mon business soit pérenne.
MLBT : Pourquoi venir au Laos ?
Fabrice: Moi je ne viendrais pas maintenant. Quand je suis venu, c’était il y a 10 ans, il y avait une fenêtre d’opportunités. Là elle est de moins en moins présente. Quand je vois des mecs qui sont là depuis 1995, ils sont censés être riches, s’ils ne le sont pas c’est que ce sont des mauvais, des incapables. Je connais des Falangs qui sont à Vientiane depuis 1995, leur ancienne femme de ménage leur loue des locaux. Elle a acheté des maisons et maintenant elle leur loue à eux ! Et il y a des Lao qui se sont vachement enrichis parce que le business s’est ouvert et qu’ils ont su suivre la vague.
Moi j’essaye de rester fidèle à ce qui m’a plu quand je suis arrivé au Laos, le sentiment de liberté. Maintenant, il faut bien se rendre compte qu’aujourd’hui, la moitié de la population à moins de 20 ans. Ça veut dire que la moitié des gens autour de moi ne connaissait pas le pays il y a 10 ans. Donc le pays d’il y a 15 ou 20 ans est complètement oublié. Donc moi, ma raison d’être a évoluée. A l’époque c’était pour une atmosphère, un sentiment de liberté, le fait qu’il y avait pleins de trucs qui n’étaient pas encore faits. Par exemple, Cédric, il arrive ici. Il n’arrive pas pour l’argent. Cédric, c’est le premier et seul boulanger de Luang Prabang. Dans ce cas, tu deviens ton boulot. Cédric, c’est le boulanger et moi je suis le mec qui fait les bijoux fantaisie. Et ça, ça te rajoute une motivation pour ton travail. Tu peux te dire que si tu ne le fais pas, personne ne le fera. Donc il y a cette petite communauté où tout a du sens parce que tout est petit. C’est quand tu vois les investisseurs que tu vois que le pays change. Moi je reste pour mon business, j’ai une bonne équipe et ça me motive.
MLBT : Est-ce qu’on peut dire que la vie est meilleure ici ?
Fabrice: C’est mutli-critères en fait. En fait tu pondères tes critères et tes libertés comme tu veux. Je pense que l’une des grandes erreurs qu’on fait en Europe, c’est croire qu’on est le pays des libertés, de LA liberté. Sauf qu’il n’y a pas une seule liberté. Par exemple, en Asie, il n’y a pas de liberté politique alors qu’il y a une liberté économique incroyable. Moi c’est celle-là qui m’intéresse, c’est la liberté d’entreprendre. »
MLBT : Nous avons l’impression que c’est quand même deux planètes différentes, la vie que tu as ici et celle que tu aurais eu en France ?
Fabrice: Ouai ce sont deux planètes différentes. Maintenant, si tu regardes bien mes journées, j’ai aussi une routine. Parfois le fait de s’expatrier c’est beaucoup de bruit pour rien, tu changes tout pour retrouver une routine qui est complètement différente ailleurs. Tu peux aussi bosser comme un malade, avoir des embouteillages, notamment dans une ville comme Bangkok en Thaïlande. Il y a donc aussi une forme de routine. Et ici, au Laos, tu changes pleins de choses, mais si tu veux arriver à un niveau de salaire qui te permette d’avoir une vie confortable, de partir en vacances etc, il faut vendre plus de choses et avoir un niveau de service plus élevé qu’en Europe. Il ne faut pas oublier que tu n’es pas assisté, il n’y a pas de matelas de sécurité à côté et parfois tu peux avoir des doutes.
Surtout quand tu es entouré de Laotiens qui sont des mecs ultra pragmatiques et qui ne feront pas grand-chose qui ne rapporte pas de l’argent. Ici, les locaux ne font que ça. Ils ne font que bosser et du coup ils ont la même routine pendant des années. Ils n’ont pas de week-end, de RTT etc. Pour eux, entre garder le magasin ouvert et aller dépenser de l’argent en week-end, il vaut mieux garder le magasin ouvert. Surtout que s’ils décident de se prendre des vacances, leur concurrent va se dire : « allez-y partez, moi je vais en profiter pour rester ouvert et récupérer tous les clients ».
Sachant que les Lao font partie des Asiatiques qui se donnent le plus de temps libre, ils sont à la cool. Mais à la cool ici, ce n’est pas comme chez nous. Ici, quand ils ont un business qui marche, ils ne le lâchent pas, ils feront ça toute leur vie. En fait, de notre fenêtre, ils sont cool mais c’est parce qu’il n’y a pas de rupture entre le pro et le perso, c’est la même chose. Ils peuvent organiser un anniversaire dans la pièce à côté du local commercial et travailler en même temps.
A côté de tout cas, il n’y a pas du tout de vie culturelle. Il n’y a pas de spectacles, musées etc. Ils ne parlent que de traditions et d’argent. Il faut accepter ça et c’est pour ça que t’as besoin de tes copains falangs. Par exemple, l’interview qu’on fait là, ils ne pourraient pas comprendre parce que ça ne rapporte pas d’argent. Moi je leur ai dit que vous faisiez du e-business.
MLBT : Mais du coup comment manages-tu les Laotiens?
Fabrice: Avec les Lao, il faut bien comprendre qu’ils peuvent lacher leur activité à n’importe quel moment. Les gens sont disponibles pour leur famille. Leur travail est juste alimentaire. Si quelque chose est plus important, ils se cassent. Et même, si simplement leur boulot ne leur convient plus, ils peuvent décider de partir du jour au lendemain. Ils ont une forte capacité à être dans le présent. Ils ne justifient rien et n’ont pas de schéma.
MLBT: Merci Fabrice pour la sincérité de tes réponses!
Bonjour, je cherchais ce qui se faisait sur les entrepreneurs au Laos, j’ai bien aimé parcourir rapidement votre site c’est simple, sympatique et informatif. Je connais Fabrice de certain de mes amis qui ont comme lui décider de s’installer au Laos dans le début des années 2000.
Oui Laure a raison, c’est un bon dessinateur si je me trompe pas c’est Fabrice qui a fait les fameux ‘cartoon do & don’t’ de l’office du tourrisme du Laos que tous le monde trouve amusant et bien fait.
au plaisir
Bobby