Alain est arrivé en 1997 et a monté plus de 9 entreprises ! Il est désormais bien installé au Laos et a accepté de nous raconter son parcours. L’interview a duré près de 3h et Alain nous a fait partager son expérience, aussi bien culturelle que professionnelle.
My Little Big Trip : Comment es-tu arrivé au Laos ?
Alain Dahout : Pour être honnête avec vous, je faisais partie des gens qui en avaient marre de la France. C’était en 1995, à l’époque Alain Juppé se lançait dans une relève de la France et là… toute la France part manifester et crie au scandale. Avec la réaction de la population, j’avais l’impression qu’on ne pourrait pas progresser, qu’on ne s’en sortirait pas. Un manifestant de Toulouse passait à la télévision avec une pancarte où il était indiqué « Juppé, du soleil ! ». Et j’ai eu déclic ! Je me suis rendu compte que le peuple français exigeait trop de son gouvernement.
Vu de ma fenêtre, si j’avais un conseil à donner aux Français ce serait :
« Il faut entreprendre dans tous les domaines et arrêter de se morfondre. Il faut savoir qu’aujourd’hui, la France n’a jamais été aussi riche de toute son histoire !! Une personne sur deux est propriétaire de son logement! En plus de cet accès au patrimoine, les français ont accès à l’éducation et à la santé. C’est une chance exceptionnelle. Et maintenant, à la place de rester sur ses acquis, il faut continuer d’avancer et faire évoluer le pays car le monde bouge. »
Avant cela j’avais monté deux entreprises en France. Pour reprendre depuis le début, j’ai travaillé dans l’armée française pendant 17 ans. J’ai décidé de démissionné en 1991. L’Union Soviétique avait disparue et, pour moi, ma présence n’avait plus de raison d’être. C’est à ce moment que j’ai décidé d’entreprendre. Je me suis lancé dans le tourisme vert.
MLBT : C’était novateur comme idée !
Alain : Tout à fait, j’étais le premier ! J’ai pris mon solde tout compte à l’armée et j’ai investis. J’’ai acheté une propriété dans le Lot et Garonne. Je l’ai transformée en auberge, club hippique et piscine que j’ai appelé « Le domaine de Gravaudin ». Il y avait près de 80 couchages. J’ai fait ça de 1991 à 1997 mais ça n’a pas fonctionné.
MLBT : Pourquoi ?
Alain : Je ne sais pas trop, c’était probablement trop novateur comme idée. Le domaine existe toujours aujourd’hui. J’avais revendu l’affaire et l’associé qui l’a repris est toujours dans la course. Avec ce que j’ai récupéré j’ai lancé une entreprise de sécurité. Je faisais des audits tous les jours sur un territoire très large. « Back to basics » comme on dit. Je faisais de la sécurité à l’armée et je me relançais là-dedans.
MLBT : C’est à ce moment que tu as eu ton déclic ?
Alain : Dans la période oui. En 1995, je voulais partir. Mais où ? J’avais plusieurs options. Soit je choisissais la tranquillité avec un pays proche de ce que je connaissais comme l’Australie ou le Canada. Soit je choisissais l’aventure… Vous savez déjà le choix que j’ai fait .
MLBT : Mais pourquoi le Laos ? Tu aurais pu aller en Amérique Latine, en Chine, au Japon.
Alain : J’avais soif de changement. Je me suis donc très rapidement dirigé vers l’option « aventure ». J’avais donc l’Afrique, mais je n’avais pas de bonnes raisons d’y aller, ou l’Asie. Fin 1995, je commence à me promener en Asie. Je voulais aller au Vietnam en souvenir de l’Indochine française, sauf qu’en 1995, le Vietnam ferme ses frontières. On m’a dit que, puisque je ne connaissais rien à l’Asie, il valait mieux que j’aille en Thaïlande. J’y suis allé et je n’ai pas accroché. Par contre, j’ai rencontré un mec qui mariait sa fille à Vientiane et qui m’a invité au mariage. Et c’est là où j’ai eu le coup de cœur ! Au bout de 4h je décide que je veux tenter l’expérience, c’est confirmé au bout de 4 jours.
MLBT : Tu as emménagé au bout de 4 jours ???
Alain : Non, j’ai mis deux bonnes années avant d’arriver au Laos. Je suis arrivé le 4 janvier 1997. Je ne voulais pas commencer à entreprendre dans un pays où je venais seulement d’arriver. Je voulais trouver un travail dans un premier temps. J’ai trouvé un job dans le tourisme, il fallait que j’ouvre un lodge, c’était un CDD. Fin 1999, le lodge ouvre et je termine mon contrat. Entre temps j’avais rencontré une Laotienne avec qui je décide de continuer ma vie. Je me suis remis à la recherche d’un travail et c’est là que j’ai eu une opportunité de business.
MLBT : De quoi s’agissait-il ?
Alain : J’ai rencontré un laotien qui avait une licence de tourisme et qui avait besoin de quelqu’un pour faire vivre sa licence. Je me suis lancé parce que j’avais déjà eu deux expériences de tourisme, en France et au Laos. En fait, le vrai problème du tourisme c’est de trouver des clients. Je me mets donc en quête de partenaire marketing. Je finis par rentrer en contact avec les frères Merlin qui dirigent Exotissimo. Ils avaient une agence de tourisme spécialisée dans l’Indochine. Le contact passe très bien, ils n’avaient pas de business au Laos. En 2 jours nous avions conclu un accord.
MLBT : C’est rapide ! Quelle était ta stratégie ?
Alain : Oui, tout va très vite ici. Nous avions basé notre stratégie sur la qualité et sur la valeur ajoutée. On vend ce qu’on connait en étant meilleur que les concurrents. On est plus cher mais avec une vraie valeur ajoutée. L’hôtel était haut de gamme et en plus de cela, on a ouvert une librairie en mettant du budget dans la forme. Avec le temps on a monté tout un tas de différents business.
MLBT : Peux-tu nous parler de la culture Laotienne ?
Alain : Déjà, pour monter une entreprise en Asie, il faut obligatoirement trouver un bon partenaire ou un époux/se. Sinon, il y aura trop de différences culturelles.
MLBT : As-tu des exemples ?
Alain : Par exemple, les Laotiens sont très rancuniers. Nous on est direct et francs, on ne tourne pas autour du pot. On se dit ce qu’on a à se dire et on passe à autre chose. Eux non, ils sont dans le non-dit et n’oublieront jamais si tu t’es raté, ne serait-ce qu’une fois.
Ils n’ont pas de formation, ça donne parfois des manières de penser qui peuvent paraitre irrationnelles pour nous. Par exemple, je cherchais des chaises d’un modèle spécifique. Je trouve le modèle que je veux chez un artisan et je demande le prix. Il me dit 35$. Je lui demande combien ça fait si j’en commande 10, il me répond 50$ fois 10 soit 500$. Je ne comprends pas. Il m’explique que là, dans son magasin, il a une chaise donc qu’elle est disponible. Si j’en prends 10, il dois les faire, ça prend du temps et de l’énergie donc ça coute plus cher
MLBT : C’est vrai que c’est très étonnant pour nous.
Alain : Ici, le développement individuel par le travail n’existe pas, ça ne les intéresse pas. Ce n’est pas de la fainéantise, c’est simplement que ça ne fait pas parti de leurs centres d’intérêts. La très jeune génération, celle des moins de 20 ans, est très envieuse donc ça va peut-être évoluer. Mais, aujourd’hui, ils ne font pas le lien entre effort personnel et récompense, entre le « plus je fais, plus j’obtiens ». Et tout ça est renforcé par le gouvernement communiste qui limite au maximum l’initiative personnelle.
MLBT : Pourquoi venir au Laos plutôt que dans les pays voisins ?
Alain : Sur le plan économique, il n’y en a pas. Sauf peut-être le fait que le marché est de seulement 5 millions d’habitants, du coup il y a moins de concurrence. Pour moi, il faut venir au Laos pour des raisons de développement personnel. Je m’explique. Aujourd’hui en Thaïlande, au Vietnam et au Cambodge, ils savent tout faire. Au Laos, j’ai le sentiment de servir à quelque chose. Ici, on participe vraiment développement individuel. On embauche des gens avec peu de compétences qui deviennent de plus en plus compétents, qui évoluent. Par exemple, on a des chauffeurs qui sont devenus chefs de département. Au niveau du gouvernement, on est consulté au niveau du tourisme national.
MLBT : On a remarqué qu’il y avait beaucoup plus de filles qui étaient employées dans les entreprises en règle générale. Pourquoi ?
Alain : Il y a de grosses différences sociologiques entre les hommes et les femmes. Ces différences sont complétement à l’avantage des femmes. Elles sont plus courageuses, plus intelligentes, et veulent apprendre et se développer. Au Laos, tous les business sont tenus par des femmes. Elles cherchent la sécurité, elles veulent éduquer leurs enfants et protéger leur famille. Pour elle, la réussite matérielle est donc très importante. En plus de tout cela, elles sont gentilles, ont le sens de l’hospitalité et sont beaucoup plus réglo que les hommes. Elles sont plus conscientes de l’enjeu si elles ne sont pas réglo.
MLBT : Est-ce que la culture Bouddhiste participe à cela ?
Alain : Peut-être. Dans la culture Bouddhiste, il n’y a pas la culture du péché comme on l’a dans le catholicisme par exemple. Chacun doit trouver sa voie, il n’y a pas de voie générale avec des notions du bien et du mal comme chez nous. Personne n’a tort ou raison. Il n’y a pas de notion de conflit car le conflit, c’est quelqu’un qui veut avoir raison sur l’autre. Le conflit est la source des problèmes. Ici si tu engueules quelqu’un tu es contre-productif.
MLBT : Est-ce que tu as un conseil à donner à des gens qui souhaiteraient venir s’implanter ici ?
Alain : D’abord, il faut savoir s’adapter. Depuis quelques temps j’ai décidé de travailler 4h par jour parce qu’à chaque fois, ça donne 8h de travail à quelqu’un ici. Des choses qu’on ferait en France en 10 min, on met 3 semaines à les faire ici. Il faut mettre un peu d’eau dans son vin. La deuxième chose c’est de se demander si oui ou non on progresse. Parce que, finalement, on ne va pas à la « bonne vitesse » mais on va sur le bon chemin. Est-ce qu’on doit toujours aller si vite ? La performance n’est pas un objectif ultime, c’est un moyen de lutter contre les autres. Pour moi l’entrepreneuriat est une démarche humaine et économique. Tout dépend quel est ton but dans la vie. Le mien est de « planter des graines et les regarder grandir ». J’ai l’impression que c’est ce que je fais ici.