Pour cette interview, nous avions rendez-vous avec Loïc Muller qui a travaillé à la chambre de commerce française à Hanoï avant de décider de monter sa structure avec son partenaire Alexis Daste. Ils se sont succédé, après leur journée de travail, pour nous parler de leur challenge. La boite est encore en lancement. Ils ont choisi de monter un concept inexistant au Vietnam : l’équivalent de la SmartBox!
My Little Big Trip : Bonjour Loïc, peux-tu nous expliquer comment tu es arrivé au Vietnam ?
Loïc : J’ai été diplômé de Sciences Po Strasbourg à l’époque de la réforme LMDE. C’était il y a 5 ans, les universités et école françaises commençaient à se normaliser pour avoir un niveau uniforme dans toute l’Europe. J’avais donc un Bac+4 et j’ai dû faire un an de plus pour avoir le niveau Master. Je suis alors parti faire une année de césure en volontariat au Vietnam. J’ai complété par un stage à la chambre de commerce. Au bout d’un an, mon stage et mon projet associatif se sont terminés.
Je suis resté 6 mois en France et je voulais retourner au Vietnam pour m’expatrier. Je postulais à des offres d’emploi à l’international et j’ai réussi à obtenir le poste de mon prédécesseur à la CCI (Chambre de Commerce et d’Industrie) du Vietnam. Je suis alors devenu responsable de l’antenne de Hanoï, je dépendais du responsable de l’antenne de Ho-Chi-Minh. J’ai fait ça pendant 3 ans.
J’ai beaucoup appris sur la culture vietnamienne et la logique économique. J’en ai profité pour me faire un bon réseau d’entreprises françaises. Au bout de deux ans et demi, je m’étais imposé une deadline pour ne pas avoir à renouveler mon contrat. Ça devenait beaucoup trop routinier pour moi.
MLBT : Comment fait-on quand on cherche un emploi à l’étranger et notamment au Vietnam ?
Loïc : Pour les jeunes diplômés d’école de commerce, ce n’est pas facile parce qu’ils vont être en concurrence avec les Vietnamiens qui ont fait des études en France et qui seront d’accord pour être payés trois fois moins.
En tant que français, on peut rivaliser mais pour des postes à responsabilités ou des postes de Management. Les dirigeants préféreront avoir des français pour une question de loyauté. Mais dans ce cas, il faut avoir fait les très grandes écoles de commerces ou d’ingénieurs ou bien connaître déjà le Vietnam.
L’autre possibilité est de commencer avec un contrat local et évoluer très vite, notamment en termes d’encadrement. En plus, il faut savoir qu’il y a beaucoup de turn over dans les entreprises vietnamiennes donc quand on reste, on évolue très vite. Par contre, le premier barreau de l’échelle est très bas.
MLBT : Quel est l’avantage d’aller au Vietnam plutôt que dans les pays voisins ?
Loïc : En général, les gens qui viennent au Vietnam n’ont pas de motivation rationnelle. Ce sont des français d’origine vietnamienne qui ont eu un coup de cœur, la rencontre d’une fille, ou bien des gens qui avaient de la famille ici à l’époque de la colonisation. En général, c’est une histoire personnelle. Ils viennent et essayent de rester. C’est entrepreneuriat qui leur permet de rester au Vietnam.
Loïc : Parce qu’on a la culture d’entrepreneuriat ici. Il y a une atmosphère très stimulante. Tout le monde finit par monter sa structure. Attention, de mon point de vue c’est plus dur de monter son entreprise au Vietnam, notamment au niveau de l’administration. Elle est contre les entrepreneurs étrangers. Le droit du travail vietnamien est très protecteur.
Les lois qui permettent aux étrangers d’investir ici sont très restrictives. Il est difficile d’avoir une licence à son nom, du coup on passe par un ami vietnamien ou par sa femme si on est marié avec une vietnamienne. Mais c’est un système de « prête nom » donc c’est très risqué. Bien sûr, c’est encore plus risqué pour les petits entrepreneurs. D’autant plus qu’il y a des complications dans certains secteurs comme la grande distribution. Les vietnamiens ne voient pas l’intérêt d’aider un étranger. Ils ne voient pas ce que peut apporter un étranger et considèrent qu’ils peuvent le faire eux-mêmes.
MLBT : Comment avez-vous choisi de procéder au niveau administratif ?
Loïc : On a un associé vietnamien et la société est à son nom. Si je devais donner un conseil, je dirais qu’il faut bien choisir la personne avec laquelle on s’associe. Il faut bien réfléchir aux risques selon chaque entreprise. Par exemple, nous, on n’a pas d’immobilier. Aujourd’hui, la société fonctionne grâce au réseau des trois associés (moi, Alexis et le vietnamien). Le réseau est essentiellement étranger parce qu’Alexis travaillait dans les vins et spiritueux quand il est arrivé ici. Comme on utilise énormément son réseau, le vietnamien ne peut pas le voler.
MLBT : Est-ce que tu peux nous expliquer un peu plus le concept de Senses Club?
Loïc : Le coffret est comme une Smartbox prestige. On a vraiment réussi à signer ce qu’il se fait de mieux à Hanoï au niveau luxe et au niveau de tout ce qui est « expériences originales », qui sortent de l’ordinaire. On a tout de même choisi de mettre différentes gammes de prix. Nous avons ainsi trois coffrets de 13 euros, 30 euros et la dernière à environ 75 euros.
(Alexis fait son arrivée dans le café dans lequel nous rencontrons Loïc)
MLBT : Comment avez-vous eu l’idée de monter ce concurrent de Smartbox ?
Loïc : Alexis a eu cette idée lorsqu’il a rencontré le DG de SmartBox Italie. Il a participé à la commission des jeunes entrepreneurs dans le but de faire évaluer la réussite de son projet. Je faisais partie du jury lorsque j’étais à la CCI et c’était au moment où je me demandais ce que j’allais faire après mon contrat. J’ai proposé à Alexis que nous nous associons, il a accepté. Nous avons ensuite cherché un partenaire vietnamien et avons choisi de solliciter une personne que nous connaissions tous les deux. Aujourd’hui nous sommes trois personnes à temps plein.
Alexis : En fait, quand j’ai rencontré SmartBox Italie, le DG m’a raconté qu’il venait de mettre en place une offre château Italie. Il a tout monté de A à Z et il avait une grosse frustration en se disant qu’il aurait pu le monter pour lui-même. Quand on s’est rencontrés on était dans la Baie d’Halong. Je lui ai dit que je voulais créer une entreprise mais je ne savais pas encore quoi. Il m’a dit : « Pourquoi tu ne lancerais pas SmartBox au Vietnam ? »
En plus, il y a une vraie dynamique économique et psychologique au Vietnam. Il faut quand même prendre en compte que depuis 2 ans, il y a une baisse de la croissance sauf dans le secteur des nouvelles technologies et du luxe. Il faut aussi être très vigilant vis-à-vis du prix de l’immobilier qui est très élevé.
MLBT : Quels ont été les facilités et les difficultés que vous avez rencontrées en vous installant au Vietnam?
Alexis : Déjà, si on prend les 4 P qui sont le Prix, le Produit, la Communication et la Distribution. On constate que notre produit est basé sur le réseau, c’est donc très facile pour nous. Toute l’offre de service qu’on mettra dans la box dépend de notre réseau. On a la chance d’avoir 3 réseaux différents entre les 3 associés. Comme Loïc l’a dit plus tôt, je travaillais dans les vins et spiritueux, lui travaillais à la CCI et notre partenaire vietnamien a tout son réseau local. C’est sur ça que nous avons basé notre association.
Je connaissais les annonceurs et Loïc connaissait les acheteurs qui sont les entreprises. On ne veut pas faire de détail comme le fait SmartBox en passant par la Fnac etc. Notre stratégie à nous est de faire du volume. On ne fait pas une marge énorme et il est plus facile de vendre en gros qu’au détail. En plus, on a eu la chance d’être très éloignés géographiquement du marché de SmartBox. Ça nous a beaucoup aidé que notre ami nous explique le fonctionnement. Nous n’avons pas non plus la même stratégie qu’eux parce que nous avons vocation à être un produit premium. Il y a des gens qui sont prêts à mettre 100$ dans une box alors que le salaire minimum est de moins de 100$ ! A l’inverse, SmartBox est un produit de masse.
MLBT : Quel est votre but ?
Alexis : Notre but est de proposer de quoi faire une belle offre produit en très peu de temps. On demande en effet à nos partenaires de payer des frais Marketing. Pour apparaître dans notre offre, il faut donc être très efficace.
MLBT : Quels conseils donneriez-vous à quelqu’un qui veut monter sa structure au Vietnam ?
Loïc : Si je devais donner des points d’insistance, ce serait qu’il faut avoir une motivation non-relationnelle. Je pense qu’il est faux de dire que c’est plus facile de monter une entreprise à l’étranger qu’en France. En France, il est plus facile d’obtenir des aides et le taux d’intérêt est égal au taux d’inflation. Ce n’est pas le cas ici. Mais il est certain qu’il est plus facile de trouver des opportunités à l’étranger et notamment dans les pays en voie de développement.
Attention, gardez bien en tête que l’herbe n’est pas plus verte ailleurs. C’est plus facile de faire fonctionner son réseau ici qu’en France mais ici le business concerne tous les domaines. On fait des affaires avec les amis ou la famille très facilement. Je suis persuadé qu’on peut entreprendre en France et qu’on n’a pas besoin de partir à l’étranger pour monter sa structure.
(Loïc a un autre rendez-vous, nous continuons notre interview avec Alexis)
Alexis : Pour reprendre les difficultés et les facilités dont nous avons commencé à parler tout à l’heure, je voudrais reparler des 4P. Je pense que pour chaque business il y a un certain nombre de points clefs à respecter et que c’est beaucoup plus simple ici. Par exemple, en France, on ne peut pas démarcher une entreprise tant qu’elle n’est pas créée au niveau juridique. Au niveau du prix, ça ne change rien d’être en France ou à l’étranger. Pour la distribution de notre produit, on a plus de facilité ici. Le réseau de distribution démarre et il est en pleine croissance. Metro représente ici 50% et il est très facile d’entrer dans d’autres réseaux de distribution comme par exemple Casino. Autre élément, en France, il y a beaucoup de sociétés de service en création et peu de création industrielle et si on veut se lancer dans l’industrie, les financements sont beaucoup plus élevés.
Notre ambition est de devenir le leader national des cadeaux !
MLBT : Pourquoi quitter la France ?
Alexis : Quand j’étais en France, j’étais consultant en service financier chez IBM. Je m’ennuyais. J’étais dans une grosse boite, le poste n’était pas mal mais je trouvais que je n’avais pas suffisamment de liberté d’initiative. Je ne pouvais pas créer, je ne pouvais rien proposer de nouveau. Au bout de quatre ans, j’ai décidé que c’était assez. Je me sentais dans une case. Pour moi c’était trop tracé. J’avais besoin d’aventure et d’exaltation.
MLBT : Comment es-tu arrivé au Vietnam ?
Alexis : C’était il y a 3 ans, j’ai trouvé une offre d’emploi international pour être commercial pour un importateur de vins. J’avais fait un stage dans le Cognac auparavant et quand j’étais chez IBM, je voulais déjà partir à l’étranger pour voyager et éventuellement m’expatrier.
MLBT : Et aujourd’hui ?
Alexis : Aujourd’hui, j’ai une vie quotidienne très excitante, le pays est en ébullition et le fait d’être dans une autre culture casse la routine. Même si vous allez vivre en Espagne, vous vous apercevrez que le piquant est là. Pas la peine d’aller jusqu’en Asie. Mes sensations et mon émotivité sont décuplées ici. Ce sont les montagnes russes pour moi tous les jours. En plus, on a un statut social et une qualité de vie qu’on n’aurait pas en France. C’est très simple d’aller dans les meilleurs endroits. Ici on ne se demande si on va aller au resto ou non. On se demande dans quel resto on va aller.
MLBT : Et au niveau relationnel ?
Alexis : J’ai appris à me protéger. Mes vrais amis stables, ils sont en France. Ici j’ai beaucoup de copains mais un grand nombre d’entre eux n’est là que pour deux-trois ans. Donc, au moment où tu commences à être proche, la personne s’en va.
J’avoue que je suis principalement avec des expat’ et même souvent avec des expat’ français. En termes d’épanouissement personnel, notre mode de vie et notre culture sont opposés. C’est encore plus le cas dans le Nord du pays où les vietnamiens vivent en famille avec les parents et les grands-parents.
Moi ce que j’aime au Vietnam c’est que c’est l’univers des possibles. On peut approcher des gens qu’on n’aurait jamais osé approcher en France. Par exemple, samedi soir, j’étais en soirée avec l’ambassadeur de France. Si je regarde les trois dernières années que j’ai passé, je constate que je suis arrivé à un milieu beaucoup plus « select ». Avec un peu d’opportunisme et de culot, ça marche vachement bien !
MLBT : Comment rencontre t-on du monde ?
Alexis : C’est plus facile à l’étranger car tout est plus spontané. On fait des soirées, c’est plus simple et plus fréquent qu’en France. Du coup, on va rencontrer des gens plus facilement car on est dans un état d’esprit différent. La différence avec la France c’est qu’ici, on ne sélectionnera pas les gens en fonction de leur milieu mais en fonction de leur langue.
MLBT : La désillusion, elle arrive à partir de quand ?
Alexis : Je pense que l’étranger est un décor. Tu te construis par rapport à ce que tu fais, il ne faut pas oublier qu’en France, on peut aussi être épanoui.
MLBT : Est-ce que tu as un message à donner aux lecteurs de My Little Big Trip.com ?
Alexis : Partir à l’étranger, oui, par contre, il faut être prêt psychologiquement. Il faut être prêt à ne pas trouver un travail du même niveau que celui qu’on avait en France ou être prêt à évoluer professionnellement. Il faut avoir soif d’aventure et d’instabilité!