Brice: Directeur Général d’Exoplatform

Brice nous accueille au siège d’ExoPlatform suite à une sollicitation sur Viadéo. L’entreprise est basée au cœur de Hanoï et représente deux étages d’un grand bâtiment. Nous sommes emmenés dans ce qui semble être une salle de réunions. Brice est très souriant et semble avoir une trentaine d’années.

My Little Big Trip : Peux-tu nous expliquer pourquoi tu as choisis le Vietnam ?

Brice Revenant : Pour commencer, je vais vous parler d’Exoplatform. L’entreprise a été créée sur internet en 2001. Au départ, c’était un projet de logiciel libre. Il y avait 3 personnes réparties entre Paris, l’Ukraine, et le Canada. La personne au Canada était d’origine Vietnamienne. Elles se sont rencontrées sur internet via des forums sur les logiciels. A l’époque, ils étaient en free-lance. L’entreprise a vraiment démarré quand l’armée américaine a signé un premier contrat avec eux. Ce qui leur a plu dans le logiciel était le fait qu’il était entièrement personnalisable. ExoPlatform a ensuite vraiment été créée en 2005 avec le siège social à Vanves, en France. Ensuite, le Vietnamien est revenu à Hanoï, il a fondé un bureau et un troisième bureau s’est construit en Ukraine. En 2010, ils ont monté un bureau en Tunisie. C’était une connaissance du fondateur et le gros avantage était que la Tunisie est sur le même fuseau horaire que la France. Aujourd’hui, ça fait 4 ans que je suis au Vietnam et 6 ans que je travaille pour ExoPlatform.

MLBT : Quelle est ta mission ?

Brice : Mon travail est de veiller à la qualité du logiciel qui est directement lié au Management du personnel. Il faut savoir que tu paies un vietnamien 240 euros au minimum. Au niveau scolaire, le maximum que tu puisses faire au Vietnam est un bac+4, sachant qu’on n’est jamais dans le même niveau de diplômes qu’en Europe ou aux États-Unis. Bien que ça progresse de plus en plus vers les niveaux Masters.

MLBT : Comment peux-tu embaucher quand tu sais que le diplôme est bidon ?

Brice : On fait des tests pendant les entretiens et on a des questionnaires. On arrive ainsi à estimer le niveau. En fait, ce qu’il faut réussir à évaluer c’est la fidélité de l’employé et le « faire-rester ».

MLBT : Comment les fais-tu rester ?

Brice : Avant que j’arrive, on avait des bonus chaque année mais tout le monde avait la même chose. On a décidé de mettre en place des objectifs mensuels et s’ils sont atteints on augmente les salaires. Autre astuce, on a décidé de ne pas revoir tous les salaires en même temps. On revoit 1/6 des employés tous les mois, ce qui fait que tous les employés sont évalués 2 fois par an. Ça marche très bien en termes de motivation et ça permet de se séparer des personnes plus facilement quand on en a besoin. Ça évite également les départs massifs dans le cas où il y a un problème avec les objectifs. Avec cette méthode, il est très rare qu’on vire qui que ce soit. Si une personne n’a pas atteint ses objectifs, il est fort probable qu’elle parte d’elle-même parce qu’elle considèrera qu’elle n’est pas assez bonne pour le poste et qu’elle perd la face si elle n’atteint pas ses objectifs. En plus, ici, le marché du travail est tellement actif qu’il est très facile de trouver du travail ailleurs.

MLBT : Que peux-tu nous dire concernant le Management interculturel ?

Brice : Quand je suis arrivé, je voulais fonctionner à l’occidentale… Autant vous dire que ça n’a pas marché (rires) ! Il faut savoir qu’ici, les gens parlent beaucoup entre eux. Ils parlent de l’entreprise et de ce qu’ils aiment ou n’aiment pas. S’il y a des choses que certains d’entre eux n’aiment pas, il est certain qu’ils auront le soutien des autres employés. Quand je suis arrivé, il y a un certain nombre de choses que je ne savais pas. Par exemple, ici, pour le nouvel an on donne des bonus. Un bonus représente un mois de salaire. Je n’en avais aucune idée. Ça a donc fait polémique quand je suis arrivé.

MLBT : Mais tu n’as pas été formé en amont quand tu es arrivé dans l’entreprise ?

Brice : Non, on n’a pas eu ce niveau de détails. On ne sait pas forcément comment communiquer avec toutes ces différences culturelles. J’étais déjà venu mais ce ne sont pas des choses que je pouvais savoir à l’avance. Autre élément, ici, il ne faut pas faire de reproches à quelqu’un en public.

Si je devais donner un conseil a quelqu’un qui décide de venir s’installer au Vietnam pour faire de l’argent et des économies, je lui dirais de faire attention. Il aura l’impression de s’installer ici pour réduire les coûts mais, en réalité, il y a énormément de coûts cachés en partie à cause des bonus et du fort taux de turnover.

Nous on a décidés de donner des bonus en fonction de la performance. Il faut savoir que si tu viens ici pour avoir des bas salaires, tu ne vas pas embaucher les bons profils. Ici, les bons profils sont payés 2 ou 3 fois plus que les salaires moyens et les connaissances sont très mises en valeur.

MLBT : On a cru comprendre que les Vietnamiens raisonnaient différemment de nous, est-ce que tu peux nous en dire un peu plus ?

Brice : Ils ont leur manière de penser avec un référentiel différent du nôtre. Par exemple, s’ils ne comprennent pas, ils ne vont pas oser demander de clarifier. Ils ont peur de faire perdre la face à celui qui a expliqué. S’ils ont besoin de poser la question, ça veut dire que la personne en face à mal expliqué.

MLBT : Même si tu leurs demandes de ne pas hésiter à te poser la question ?

Brice : Ils n’oseront toujours pas. Ils feront la première chose qu’ils ont comprise. Le mot d’ordre est « patience ». Il y a des gens qui comprennent mieux que d’autres, il faut simplement les trouver. Par exemple, les Vietnamiens qui ont travaillés en France. Sinon il faut embaucher des VIE (Volontariat International Entreprise) mais de ce fait, on paye les gens avec un salaire occidental.

MLBT : Quels sont les inconvénients quand on vient vivre au Vietnam ?

Brice : L’environnement est très pollué, il fait chaud et les gens sont très sympas mais ne comprennent pas très bien l’anglais ce qui rend la communication difficile.

MLBT : Comment est-ce que tu gères les différences culturelles au quotidien ?

Brice : Il faut être patient et anticiper. Au bout d’un moment, tu arrives à savoir ce qu’ils vont comprendre ou non. Même au travail, je leur donne une consigne et j’insiste en disant : « fais bien attention à ceci ou cela ». Et puis, au fur et à mesure que tu parles vietnamien, ça facilite vraiment les échanges.

MLBT : Combien as-tu d’employés ?

Brice : A Hanoï on est 85 dont 6 français et dans le monde on est 180. La présence internationale est indispensable pour que l’entreprise fonctionne bien. Il faut vraiment penser à investir dans un recrutement étranger sinon ça ne marche pas. On entend souvent : « Si vous venez vous implantez au Vietnam, mettez un expatrié à la tête de l’antenne ». Ça évite les problèmes de détournements, de gros salaires etc.

MLBT : Tu as des exemples ?

Brice : Par exemple, ce que je vois c’est que dès que tu es dans un business où il y a un acheteur, il s’arrange avec la boutique pour faire une fausse facture pour récupérer de l’argent. Attention, ce sont à chaque fois des petites sommes mais c’est à prévoir. Il faut laisser filer. Même si tu choisis d’augmenter ton personnel, il le fera quand même. C’est dans les habitudes. Il faut souvent compter un extra pour les dessous de table.

MLBT : Est-ce que tu as des problèmes au niveau de la qualité des produits que tu achètes ?

Brice : Ici, on n’a jamais eu d’escroquerie. Au niveau de la qualité c’est très bien. Il y a des erreurs mais selon moi, ce sont des erreurs d’interprétation, ce n’est pas de la malhonnêteté mais je pense que dans les coûts cachés, il faut aussi compter le coût « d’erreurs » qui impliquera de refaire plusieurs fois quand les choses ont été mal comprises.

MLBT : Avec ton personnel, tu fonctionnes sur une logique de prix ou de qualité ?

Brice : Chez nous, on pense qu’il faut montrer que tu es généreux et que tu as du cœur. Si tu décides de les payer un peu plus, ça aide. D’autant plus que si l’employé vaut 8, il pourra trouver facilement 9 ailleurs, c’est pour cette raison qu’on paie nos employés 5 à 10% de plus que ce qu’ils valent. Il faut savoir qu’ici, ils parlent beaucoup de salaires avec leurs amis et ils comparent. Si une personne est payée moins que les autres, elle va commencer à se poser des questions.

MLBT : Est-ce que tu fais des veilles pour savoir s’ils sont satisfaits de ExoPlatform ?

Brice : Oui, je le fais au moment des entretiens et on pose les questions directement aux candidats. D’autant plus qu’ici, les expats sont tous managers. Ils gèrent une ou plusieurs équipes. Pour la plupart, ils n’ont pas forcément été managers avant donc les 6 premiers mois il faut leur expliquer à quoi s’attendre. Au début, ils ne comprennent pas ces différences, même quand on leur explique. Ils pensent toujours que ça va se passer différemment.

MLBT : Qu’es-tu venu chercher au Vietnam ?

Brice : Moi ce que j’aime c’est l’attitude des vietnamiens. Ils sont optimistes, souriants, généreux. Par exemple, ils font souvent des petits cadeaux, ils ont des attentions. J’aime aussi le sentiment de liberté qu’on a ici grâce à la moto et ce même si c’est pollué.

MLBT : Au niveau du Management, que penses-tu du Management familial qu’on retrouve beaucoup en Asie ?

Brice : Si tu veux garder ton personnel, il faut qu’il y ait une bonne ambiance de travail. Attention, ça ne sera pas le même « fun » ici qu’en France. Ici, il faut faire des fêtes tous les mois dans l’entreprise. On est beaucoup dans la symbolique. On fait beaucoup de jeux pendant ces fêtes, c’est ce qu’on appelle le « team-building » en France.

MLBT : Quelle est ta vision de la France ?

Brice : Ce que je vois c’est qu’en France on ne peut plus embaucher parce que c’est trop risqué. Le marché du travail n’est pas assez flexible et fluide. Au Vietnam, le préavis est d’un mois et demi, et encore, ça dépend du contrat. Mais il y a pleins d’entreprises et d’employés qui ne connaissent pas le code du travail et qui sont persuadés que tu peux être licencié du jour au lendemain.

MLBT : Quels sont les problèmes que tu rencontres ici ?

Brice : Je pense que le principal problème est l’enseignement. On leur apprend beaucoup de choses théoriques qu’ils ne savent pas mettre en pratique. Il faut tout leur expliquer. Ils ne sont pas non plus force de proposition. Si tu leur demandes de donner des idées ou de donner des propositions d’innovation, ils te proposeront de faire la fête ou de rajouter des bonbons quand il y a des réunions. Et, généralement, ils ne se posent pas de questions. C’est un pays communiste, on ne veut pas qu’ils posent trop de questions sur ce qu’il se passe autour et ça se ressent en entreprise.

Après, il y a beaucoup de bureaucratie au Vietnam. On doit faire beaucoup de rapports pour l’administration. Il faut tout faire sur papier, c’est une énorme perte de temps. Tout doit être tamponné. En ce qui nous concerne, on a deux comptables. Ça permet d’avoir un peu de marge de manœuvre si l’un des deux part du jour au lendemain.

MLBT : Par quoi sont motivés les employés vietnamiens ?

Brice : La reconnaissance, l’intérêt qu’ils ont pour leur travail. Nous sommes éditeur de logiciels, c’est quelque chose qui leur plait beaucoup. En plus, on fait de la formation, chose qu’ils ne retrouvent pas ailleurs. Malheureusement, quand ils ont tout appris, ils veulent aller voir ailleurs. Du coup, on anticipe en leur proposant de changer de poste pour qu’ils puissent apprendre autre chose. Notre plus grand challenge est de garder les bons.

Autre chose pour les motiver, toutes les deux semaines, on demande à un employé d’étudier un sujet technique et il le présente aux autres employés.

MLBT : C’est étonnant, ils ont la culture de parler en public ?

Brice : S’ils doivent parler au micro, avec un écran derrière et plein de monde qui les écoute, ils sont très à l’aise. La culture du karaoké joue beaucoup là-dedans. Par contre, ils ne sont pas dans leur élément quand ils doivent parler en petit comité car ce sont des situations dans lesquelles ils doivent donner leur avis.

MLBT : Quels sont les secteurs porteurs au Vietnam ?

Brice : La manufacture, tout ce qui est chaussures, habillement etc. Il y a aussi beaucoup d’avenir dans les logiciels car le gouvernement pousse beaucoup ce secteur d’activité. Quand tu exportes du logiciel ça l’est encore plus et le gouvernement propose une fiscalité très avantageuse.

MLBT : Quel est le conseil que tu donnerais à quelqu’un qui souhaite trouver un travail au Vietnam ?

Brice : Il faut aller prendre des cours de vietnamien. La fac est très bonne à ce niveau. En 1 an ou 1 an et demi tu peux parler le vietnamien couramment. J’ai rencontré beaucoup de personnes qui ont fait ça et qui ont réussi à atteindre de très bons postes. Apprendre le vietnamien aidera à augmenter ta valeur auprès d’un employeur potentiel. Si tu ne parles pas la langue du pays, il vaut mieux aller voir les entreprises françaises. Mais surtout, il faut être patient et ne pas se décourager si on n’a pas trouvé au bout de 2 ou 3 mois.

MLBT : Que viennent chercher les salariés ici ?

Brice : Une meilleure qualité de vie, notamment au niveau de la nourriture, du transport et de l’exotisme. Par contre, il n’est pas facile d’accéder à la propriété. Pour posséder son propre logement, il faut se marier avec une vietnamienne. Pour monter une entreprise c’est pareil, il faut avoir un associé vietnamien. Si tu achètes une maison ici, ça sera au nom de ta femme. Le problème c’est que si ta femme décède, c’est la famille qui récupère le bien et tu peux te retrouver sans rien. Aujourd’hui, le pays évolue beaucoup et s’occidentalise mais beaucoup plus au Sud.

MLBT : Que se passerait-il si ExoPlatform était dans le sud du pays ?

Brice : On trouverait des profils plus variés, des gens qui parlent anglais plus facilement. L’avantage qu’on a à Hanoï c’est qu’il y a moins de concurrence pour trouver des employés. La capitale économique est au sud et, en plus, il y a un plus grand nombre d’entreprises étrangères dans le sud. Il y a même des entreprises vietnamiennes qui commencent à délocaliser dans le sud. Pour nous, c’est bien d’être ici parce qu’il y a des universités françaises et parce qu’on est une entreprise offshore.

    Maxence Pezzetta

Category: Entrepreneurs, VIETNAM
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