Après avoir été reçu par Mr d’Aboville, nous contactons Cyril Rocke que nous rencontrons quelques jours plus tard entre deux rendez-vous. Cyril Rocke est le directeur de la Chambre de commerce Franco-Philippines. Il nous parle de la culture aux Philippines.
My Little Big Trip : Bonjour, est-ce que vous pouvez nous parler de l’intégration aux Philippines ? Avez-vous ressenti un choc culturel ?
Cyril Rocke : Déjà il faut savoir que j’ai un profil atypique car je suis né au Cambodge et mon père est né au Vietnam. Pour moi, l’Asie n’est pas quelque chose d’exotique. J’ai grandi là-dedans. Être en contact avec des Asiatiques n’a jamais été difficile pour moi. La 2ème chose c’est que lorsque j’ai fait mes études, j’ai fait beaucoup de voyages et de stages à l’étranger. Je suis allé en Inde, en Thaïlande, en Malaisie et en Indonésie. A ce moment, je voulais relier mon passé, mon présent et mon futur. Et comme rien n’arrive par hasard, j’ai travaillé au Crédit Lyonnais à Jakarta, qui m’a ensuite demandé de prendre la direction d’une société nouvellement acquise aux Philippines.
MLBT : Comment ça s’est passé quand vous êtes arrivé aux Philippines ?
Cyril : Mon arrivée aux Philippines n’a pas été dépaysante. Historiquement, c’est un pays de souche maltaise qui a été colonisé par les espagnols et ensuite par les américains avec des influences indiennes et chinoises. Quand vous arrivez ici, quel que soit le pays d’Asie du Sud-Est, il y a tout un tas d’ajustements à faire. Il est très difficile d’appréhender le fonctionnement des gens, avec un regard strictement occidental.
MLBT : Quel a été votre premier choc/étonnement ?
Cyril : C’était de m’adresser à des gens qui parlaient un anglais très américain et quand ils devaient me dire oui, je comprenais un oui occidental. Alors qu’ici, oui ne veut pas dire oui. Même si on parle tous anglais, en réalité, on ne parle pas le même langage.
Par exemple, je vais dans un restaurant dans lequel je vais très fréquemment. Je vois que la serveuse a un chapeau de cowboy et une tenue de western. Je lui demande pourquoi elle est habillée comme ça et elle me répond : « c’est mon uniforme ». Je lui réponds que d’habitude elle n’est pas habillée comme ça et je lui redemande pourquoi. Il a fallu 5 ou 6 questions pour qu’elle me dise que c’était la tenue du jeudi !
Il faut savoir qu’ici, les questions ne sont pas traitées comme en occident. Elles sont traitées de manière contextuelle. Aux Philippines, On n’écoute pas chaque mot, mais le contexte dans lequel on s’exprime: On est content, ou pas, etc… Autre exemple. Je demande à un philippin « peux-tu prendre mon cahier jaune qui est sur mon bureau ». Pour moi c’est très clair. Il me demande quand même si c’est dans mon bureau. Pourtant je lui ai déjà dit. En fait on s’aperçoit que c’est simplement parce qu’il n’a pas écouté chaque mot. Alors que selon moi, j’ai utilisé chaque mot pour donner des informations précises. Du coup, il faut réexpliquer de différentes manières pour être sûr d’être bien compris. La même situation se reproduit tout le temps dans des contextes différents.
MLBT : Est-ce que ce la difficulté à se comprendre peut constituer une raison de départ ?
Cyril : Peut-être, mais, vous savez, nous les français, on est aussi très spéciaux. Si je dis à quelqu’un « Est-ce que vous avez un Iphone ? ». Tu vas répondre par oui ou par non. Alors qu’ici, aux Philippines, c’est mal poli. Un philippin se sentira gêné avec une question binaire, sans contexte. C’est une culture beaucoup plus subtile. Pour un Philippin les questions fermées peuvent s’apparenter à une situation de conflit. Il y a donc plus de non-dit et de sous entendus.
MLBT : Pourquoi ?
Cyril : Parce qu’il y a un risque qu’il perde la face si la réponse n’est pas la bonne. Surtout s’il ne sait pas pourquoi on pose la question.
Les français sont très conflictuels. On veut toujours essayer de connaitre les limites des choses, on veut savoir précisément tout et pourquoi. Les philippins se moquent de nous à ce sujet.
MLBT : Quel conseil vous donneriez à quelqu’un qui décide de venir s’installer ici parce que la vie lui semble « sympa » ?
Cyril : Ça ne veut rien dire . Sympa n’est pas le mot adéquat. Ici, il faut réapprendre un certain nombre de comportements, ce qui sera long et difficile pour la plupart. Malgré tout, on ne cesse jamais d’être un français. Par exemple, j’ai été hospitalisé pour une fracture au talon d’Achille. Pour vérification, je demande une radio. L’infirmière me dit que j’ai une fracture visible. Je demande à voir la radio parce que je n’avais pas du tout mal. Je regarde le document et il est écrit « NO fracture visible » ! Quand je lui ai fait remarquer, elle s’est confondue en excuses. Dans ce genre de situation il ne faut surtout pas se fâcher ni élever la voix. Ce changement de comportement est la chose la plus importante pour un français désirant s’installer ici.
Il faut vraiment garder en tête que les gens ne fonctionnent pas avec la même précision de langage. Il faut se rendre compte que nous, français, on a été formés comme ça. Pas eux. En France, on a une approche conflictuelle, on est bien plus « rentre-dedans ». On est plus facilement dans un rapport de force, ce qui est extrêmement mal vu ici.
Là où nos amis philippins sont très différents c’est dans la vie quotidienne. Ils essayent toujours te faire plaisir, ils ne veulent pas te faire perdre la face. Les relations professionnelles sont beaucoup plus plaisante. Ici, les rapports professionnels ont presque un caractère familial, il faut s’ attendre a fêter les anniversaires des employés par exemple. C’est une attente incontournable.
MLBT : C’est important d’adhérer à cette gestion familiale ?
Cyril : On n’a pas le choix.
MLBT : Les gens ne vous voient pas de manière différente lorsque vous vous retrouvez dans un univers plus détendu, plus « privé » ?
Cyril : Il contextualisent. Ils savent que c’est à ce moment-là, ça n’affecte pas du tout le management.
MLBT : Comment on se prépare à venir aux Philippines ?
Cyril : On ne peut pas se préparer en amont. Il faut venir, constater, analyser. Ici, il y a une autre dimension , qui est le cote parfois improvisé et non hiérarchique des rapports. Les rapports d’autorité sont plus diffus et souvent incompréhensibles pour les français . Il y a parfois un leader naturel mais jamais clairement identifié. Quand je parle à un groupe, je ne donne jamais d’ordres individuels. Je suggère fortement a l’ensemble groupe. J’évite de donner d’ordres directement. C’est jugé trop agressif.
En entreprise, les relations hiérarchiques ne sont pas clairement définies avec des tâches définies. Il faut simplement leur dire ce qu’on veut. Moi, je donne généralement un objectif à atteindre et je laisse mes employés s’organiser. Je repère les leaders naturels et je leur demande si les objectifs sont clairs.
MLBT : Comment motive t-on une équipe ?
Cyril : A la reconnaissance et aussi de l’argent. Mais il y a aussi le fait de créer une atmosphère conviviale. Il faut jouer ce jeu et réussir à faire émerger les leaders. La plupart du temps, les managers ont une culture occidentale plus affirmée. Ça nous permet de communiquer plus facilement.
Cyril : On trouve du personnel qualifié assez facilement . Mais a bas niveau de qualification il faut etre tres sélectif et il y a beacoup d’attrition. Après, ça dépend des niveaux. Pour Les cadres qui sont directement sous ma responsabilité, je fais très attention à ce qu’ils parlent le même langage que moi et que nous nous comprenions bien en termes de style de management. Des mots tels que objectifs, profits, intégrité , doivent être compris de la même façon par les deux parties. Il faut vraiment être très à l’écoute pour s’assurer qu’il n’y pas de malentendu.
MLBT : Est-ce qu’il y a un risque à venir vivre ici ?
Cyril : C’est vrai qu’il faut passer un bon moment à s’adapter. Les français qui pensent pouvoir gérer leur entreprise comme en France auront de gros problèmes. Il ne faut pas oublier que les philippins sont très subtils dans leurs rapports sociaux. Ils sont maitres dans la gestion de l’ambiguïté. Nous, on veut toujours que ce soit clair mais on ne peut pas avoir des réponses oui/non ici. Il faut s’adapter a leur méthodes de communication.
MLBT : Donc, venir aux Philippines, ce n’est pas pour tout le monde ?
Cyril : Ce n’est pas si difficile non plus de venir ici. On n’est pas les seuls à être différents. Les autres groupes ethniques, chinois, japonais, indiens, ont aussi leurs difficultés d’adaptation ici. Il faut simplement comprendre qu’on est tous différents et s’adapter.
Mais globalement, ici, c’est quand même plus facile que dans d’autres pays d’Asie.
MLBT : Comment décrieriez-vous les philippins de manière globale ?
Cyril : Ce qui caractérise vraiment les Philippins dans une perspective globale, c’est leur niveau d’anglais élevé et leur culture de la gentillesse, de l’empathie. Ils sont foncièrement gentils dans la relation. Ça c’est une qualité extraordinaire qui fait leur force.
Il faut bien garder à l’esprit qu’on ne parle pas la même langue même si on parle tous les deux anglais ! Dans un passé encore récent, on ne se regardait même pas dans les yeux car c’était assimilé à une agression. Il faut garder à l’esprit que la culture Philippine est l’évitement du conflit et de la violence.
Donc comme il y a cette gentillesse et cette notion de prendre soin de l’autre, pour tout ce qui est qualité de service les philippins sont très recherchés. Ils ne savent pas non plus annoncer les mauvaises nouvelles.
MLBT : Quelle image ont-il des expatriés ?
Cyril : Ici, les étrangers sont les bienvenus, ils sont appréciés. Ce pays à une origine coloniale espagnole et ils sont ouverts aux étrangers. Philippin veut dire citoyens du roi d’Espagne, qui s’appelait Philippe II. Ils ont donc une identité mélangée.
MLBT : Quel conseil donneriez-vous à quelqu’un qui envisagerait de venir ici?
Cyril :
Je ne dirais pas a tous qu’il faut partir pour monter sa boite. Être entrepreneur ce n’est pas quelque chose qui s’improvise. Si on n’est pas entrepreneur en France, on ne le sera pas non plus . Et ce n’est pas parce qu’un entrepreneur sait faire fonctionner une entreprise en France qu’il saura le faire ici.
Être salarié aux Philippines, pourquoi pas. C’est un pays porteur mais pas facile. Il faut savoir qu ‘a compétences égales, un français coutera 4 fois plus cher qu’un philippin, et Il faut peut-être donc travailler plutôt pour des entreprises françaises ou des multinationales.
Les philippins ne sont pas fainéants, ils s’investissent et ils peuvent travailler presque toute la nuit si nécessaire. Mais Il faut simplement utiliser les bons leviers de motivation.
En ce qui me concerne, je suis arrivé à un système performant avec des salariés très performants. Mes employés sont en majorité des femmes. Les femmes sont en général plus performantes parce qu’ici les hommes représentent l’enfant roi dans la famille et n’ont pas l’habitude de mettre les mains dans le « cambouis ». Les femmes font le boulot, elles font les choses concrètes et savent s’organiser. Ici, il n’y a pas d’effet de caste et les femmes ont un rôle important. De plus Il n’y a pas de distinction entre intellectuels et manuels.