Nous rencontrons Roger Ferrari dans son entreprise au cœur de Manille. Ce suisse est implanté aux Philippines depuis plus de 40ans ! Avant cela, il a passé un an en Australie. Il nous fait part de son expérience asiatique et australienne.
MLBT : Bonjour, comment êtes-vous arrivé aux Philippines ?
Roger Ferrari : Tout a commencé en 1968 lorsque j’ai décidé d’aller en Australie par la route. Ça m’a pris 14 mois ! Je suis finalement arrivé à Darwin le 6 juin 1969.
MLBT : Pourquoi aviez-vous décidé d’aller en Australie ?
Roger : A l’époque, on disait qu’on trouverait facilement du travail en Australie. Quand je suis arrivé à Darwin, j’avais l’impression d’avoir atterri sur la Lune ! Je ne comprenais rien. Ils avaient un accent très fort et ils n’articulaient pas ! Mon anglais était un anglais scolaire car j’avais fait une formation d’ingénieur mécanicien mais j’étais parti en voyage directement en sortant de l’école. Je n’avais jamais travaillé. Mon niveau d’anglais suffisait donc pour traverser le monde mais arrivé en Australie, je ne comprenais rien du tout.
MLBT : Comment est-ce que cela s’est passé quand vous êtes arrivé à Darwin ?
Roger : Quand je suis arrivé sur la plage de Darwin, l’endroit était rempli de tentes occupées par des immigrés. A cette époque, on disait que l’Australie était un eldorado. Ils avaient besoin de gens et ils nous disaient que si on venait jusque-là, on nous payait le voyage d’où qu’on vienne ! De ce fait il y a énormément de personnes qui étaient venues mais elles ne trouvaient pas de travail. Comme les immigrés ne trouvaient pas de travail, on leur payait une pension chômage. Ils vivaient donc grâce à ce maigre revenu.
MLBT : Mais pourquoi est-ce qu’on les faisait venir s’ il n’y avait pas de travail ?
Roger : Il y en avait ! C’est simplement qu’il fallait le trouver. C’était la croix et la bannière. Les mecs ne parlant pas anglais, ce n’était pas facile. Dès que je suis arrivé, les autres immigrés m’ont dit que j’étais fou de venir là et que je ne trouverai jamais de travail. Sauf que je n’avais plus un sou ! Il me restait 10 dollars en poche. Ils m’ont dit : « La première chose qu’il faut faire c’est d’aller s’enregistrer au Welfare (équivalent de pôle emploi), comme ça tu auras des sous et après tu reviens sur la plage. »
Pour moi il était hors de question de passer mon temps à attendre sur la plage. Le lendemain je me suis levé tôt. Je suis allé taper à toutes les portes… pas de travail. Je me suis levé aux aurores pendant 3 jours pour trouver du travail. Le 3ème jour, je vois un chantier et je demande du travail. Le chef de chantier avait besoin de quelqu’un pour installer un réseau électrique sur un chantier. J’ai commencé immédiatement après lui avoir parlé.
Au bout de 4 jours, plus de travail. Il m’a payé et voilà c’était fini. Il m’a donné mon chèque et je suis parti. Je découvrais ainsi le monde du travail, un monde que je n’avais jamais connu jusque-là. J’étais très étonné de voir comment ça fonctionnait.
J’ai continué à chercher du travail. J’ai rencontré une autre personne qui m’a dit qu’il y avait un consul suisse. Je l’ai cherché et je suis allé le trouver. Ils avaient un travail pour moi dans l’induction d’eau. Ils avaient un petit atelier et besoin de quelqu’un pour faire le design de tous les équipements. J’ai dû prêter serment sur la bible pour travailler pour le gouvernement !
J’ai commencé à travailler et je bossais à la suisse. Je n’arrêtais pas. J’essayais d’être le plus efficace possible. Je voyais les gens autour de moi qui étaient tranquilles. Ils ne faisaient rien de la journée ! J’ai travaillé 5 mois pour le gouvernement de 8h30 à 16h25 précise. J’étais payé, nourri et logé. C’était royal ! On travaillait en chemise, short et chaussettes blanches.
Un jour ,le chef de bureau nous dit qu’il a besoin de quelqu’un pour faire des heures supplémentaires. Il demande qui est d’accord. Tous les australiens faisaient profil bas alors j’ai sauté sur l’occasion. Ça me permettait d’avoir de l’argent ! Il me dit, très bien Roger, du restera jusque 18h. Pas de problème. Donc, après 16h25, je reste. J’attends. J’attends. Il ne se passe rien. 17h et toujours rien, 17h30, toujours rien. Donc à 17h30 je vais dans le bureau du chef et je lui demande ce que je dois faire. Il me dit « non c’est bon, tu restes près de ton bureau et quand il sera 18h tu signes là et tu pars ». Je ne comprenais rien. Le lendemain je demande à mes collègues. Ils m’expliquent que le chef a un quota d’heures supplémentaires par mois et que s’il ne l’utilise pas, il perd ses heures. Du coup je suis allé voir le chef et je lui ai dit que ce n’était pas la peine de demander aux autres et que je serai disponible tous les jours !
Ensuite, j’ai décidé de quitter Darwin pour aller passer trois semaines à Sydney. Mon nouvel objectif après était Vancouver. Je suis passé par Manille et j’ai trouvé ça pas mal du tout. C’est là que j’ai rencontré une fille qui travaillait à l’ambassade de France.
MLBT : Comment était vu à l’époque le fait de partir en backpacker ?
Roger : C’était super ! Mais ça a bien changé. Par exemple, aujourd’hui si on traverse l’Afghanistan, on peut se faire enlever alors qu’à l’époque ça n’arrivait pas. Les gens étaient beaucoup plus dans le partage. On pouvait facilement se faire inviter chez eux que ce soit en Iran, en Malaisie etc. Ce qui était génial c’était que les routards nous donnaient toutes les informations. Par exemple, en Inde, quand on n’avait nulle part où dormir, on pouvait aller dans les temples et ils nous donnaient aussi à manger.
MLBT : Finalement, est-ce que vous êtes allé à Vancouver ?
Roger : Jamais ! Comme je vous le disais? j’ai rencontré cette fille à l’ambassade de France qui m’a présenté à un de ses contacts. Ce dernier m’a proposé un job sur l’île de Palawan. Il s’agissait de gérer une entreprise d’algues. Je n’avais aucune expérience mais il n’arrêtait pas de me dire que ce n’était pas un problème. Il avait juste besoin d’un manager. Il m’a proposé de passer quelques jours là-bas en observation et de me dire ce que j’en pensais. J’ai donc fait un rapport.
Il a trouvé ça extraordinaire ! Il n’en revenait pas. Ça faisait trois ans qu’il avait son affaire et il n’avait jamais eu un seul rapport ! Il a absolument voulu m’embaucher et j’ai accepté. Je suis resté deux ans là-bas et je n’ai jamais quitté les Philippines.
MLBT : C’est génial ! On nous a beaucoup parlé de l’éducation aux Philippines, qu’en pensez-vous ?
Roger : Je pense qu’ici il y a un gros problème d’éducation. Je pense qu’il faut commencer à éduquer les jeunes à l’école parce que les parents ne savent pas. Par exemple, des choses de base comme de jeter les déchets dans la poubelle. Si vous allez aux Philippines et en Indonésie, vous verrez qu’ils jettent tout par terre. Autre exemple, ils ne savent pas traverser une route. Nous c’est une des premières choses qu’on nous apprend. Mais ici ils ne le savent pas parce que personne ne leur a jamais appris. Les automobilistes n’ont aucun respect pour les piétons et inversement.
La personne qui conduit ne s’arrêtera pas pour le piéton. Ici ils s’en fichent et ils passent. Mais moi, si je veux respecter le piéton et que je m’arrête, c’est tout juste si le piéton n’envoie pas un sms devant ma voiture en prenant son temps ! Il n’a aucun respect lui non plus ! Du coup, quand je conduis, je dois faire comme eux sinon je n’avance pas. Mais je pense que tout ça changerait si on commençait à respecter l’autre.
MLBT : On a entendu plusieurs sons de cloche sur les Philippins. Pour certains c’est le paradis et pour d’autres c’est l’enfer. Quel est votre ressenti ?
Roger : Pour moi, c’est un pays adorable, les gens sont charmants ! Mais c’est un pays frustrant parce que c’est un pays qui pourrait faire beaucoup plus. Le philippin est une personne extraordinaire à l’extérieur des Philippines. Il change quand il est dans son pays car il est très affecté par son environnement. Pour vous donner un exemple, si un philippin est aux États-Unis, il conduira très bien. S’il y a un stop, il s’arrêtera. En revanche, s’il est aux Philippines ça n’arrivera jamais. Il y a des philippins dans le monde entier et les gens les adorent Ce sont des bons bosseurs et ils suivent les règles. Par contre, lorsqu’ ils rentrent au pays, ça n’a rien à voir ! Le stop ils s’en fiche, le travail ils s’en fiche, la corruption c’est pareil etc. Ils rentrent dans leur environnement normal et reprennent leurs anciennes habitudes.
MLBT : Mais comment fait-on pour monter sa boite dans ce cas ?
Roger : (rires). Moi j’ai travaillé avec des philippins très bosseurs et très bons au Moyen-Orient et quand ils revenaient au pays, je ne les reconnaissais pas. Ils faisaient n’importe quoi alors que c’était les mêmes personnes !
On a essayé de comprendre ce qu’il se passait. Pourquoi le même gars change du tout au tout comme cela ? On a compris que c’était à cause de leur environnement, de leur famille. Ils sont très « famille » et sont très affectés par ce qui la concerne. Quand un philippin est au Moyen-Orient, la famille n’est pas présente et il n’est pas embêté avec les problèmes du quotidien. Quand ils sont ici, les problèmes commencent dès le matin et ils restent préoccupés avec ça toute la journée. Ils ne sont pas à ce qu’ils font parce qu’ils ont la tête ailleurs. De ce fait, ils font n’importe quoi au travail.
MLBT : Et que font-ils pour pallier à cela?
Roger: Ils essayent d’oublier.
MLBT : Comment ?
Roger: Avec l’alcool. Toute leur paie va dans l’alcool le soir après le boulot à la place de payer les factures. Le lendemain, rebelote. En plus ils ont de gros problèmes d’endettement ici. Tout le monde est endetté à tous les niveaux.
MLBT : Pourquoi avoir voulu monter votre entreprise ici plutôt qu’en Suisse ?
Roger : Parce que j’aime ce pays, malgré tous ses problèmes, je suis très attaché à ce pays. J’aime les gens ici. Mais c’est sûr que ce n’est pas toujours facile. Mon staff est bien payé. On essaye de les payer mieux que les autres pour les faire rester.
MLBT : Quelle est votre activité ?
Roger : Je fais du développement de projet. Je représente des sociétés européennes et je fais du conseil pour les aider à s’implanter ou à mettre en place des projets locaux. Je fais du développement de business. J’ai été représentant pour Alstom et aujourd’hui je m’occupe de Thales. Je fais beaucoup de relations publiques, je connais les gens au gouvernement.
MLBT : Quels sont les facteurs clefs de succès pour quelqu’un qui souhaiterait s’implanter ici ?
Roger : Ça dépend du secteur dans lequel vous vous mettez. Je pense que l’un des secteurs porteurs est le tourisme. Moi, si j’étais jeune, je ferais une boutique-hôtel avec une clientèle de très haut niveau, super service, une nourriture de qualité etc.
MLBT : Il n’y a pas de problèmes pour s’installer ici ? On entend souvent dire qu’il y a de grosses différences entre l’officiel et l’officieux…
Roger : Ici tout est négociable. Il faut simplement s’entourer du bon cabinet d’avocats.
MLBT : Comment fait-on pour le trouver ? Comment font les gens qui arrivent ici et qui ne connaissent personnes ?
Roger : Déjà il faut se renseigner auprès des gens qui sont déjà là. Il faut faire comme vous, rencontrer des personnes et aller leur parler, leur demander conseil. Il faut aussi aller aux CCE et à la Chambre de commerce. Il faut passer 3 mois à trouver de l’information et ensuite réfléchir à comment s’implanter.
Par contre moi, si j’avais 25 ans aujourd’hui, j’irais m’installer en Birmanie. Là-bas, tout est à faire. Il y a peu de pays qui sont aussi peu développés en Asie. C’est un pays qui vient de s’ouvrir et qui sera en croissance pendant des années.
MLBT : Si vous receviez un CV avec une année sabbatique et un projet comme My Little Big Trip, qu’est-ce que vous vous diriez ?
Roger : Je me dirais que ce sont des gens qui ont l’esprit d’initiative et qui ont osé prendre des risques. Aujourd’hui il faut innover, il faut savoir prendre des risques, sortir de sa zone de confort. C’est très bien ce que vous faites!
MLBT : Quel conseil donneriez-vous aux gens qui veulent partir mais qui se posent encore des questions ?
Roger : Je leur dirais que d’abord, il faut aller voir. Il faut prendre le risque. Bien sûr, il faut s’adapter en fonction de sa situation familiale. Si on est célibataire ou en couple, il faut y aller ! Avec des enfants, c’est plus compliqué. Mais pour un jeune sans enfant, il faut tenter le coup !
Salut Roger
Bravo pour ton joli parcours. J’espère que tu vas bien, surtout la santé. Tu as fait aussi du foot là-bas? Cela fait déjà 50 ans que nous étions pommeaux aux Rondez à Delémont, j’espère que tu t’en souviens. Bonnes salutations.
Heizmann Gérard