Les Philippines sont un pays d’avenir!

Nous rencontrons Bruno Hirsh à la suite de notre interview avec Eve et Jean-Louis Fresnel. Dès le début de l’interview, il commence à nous parler de la culture philippine. Il faut dire qu’il la connait bien puisqu’il vit là depuis 5 ans, qu’il est marié à une philippine, et qu’il partage sa propre maison avec toute la famille !

My Little Big Trip : On a remarqué qu’ici les gens ont des grosses difficultés à être à l’heure. Comment fais-tu quand tu dois travailler avec eux ?

Bruno : C’est très compliqué, il faut s’habituer ou bien leur faire comprendre que toi, tu fonctionnes différemment. Le problème c’est qu’ils te donnent souvent des excuses. Je connaissais une personne qui était tout le temps en retard, elle me faisait patienter 45 min ou 1h à chaque fois. Je lui ai dit une fois, deux fois, et ensuite j’attendais 10 min et je partais. Elle me rappelait 1h plus tard en me disant qu’elle était là et je lui disais que j’étais parti. Elle m’a refait le coup une ou deux fois et ensuite elle est venue à l’heure. Mais de toute façon c’est à toi de t’adapter. Tu ne peux pas faire ça avec tout le monde.

MLBT : Mais pourquoi font-ils ça ?

Bruno : C’est simple, s’ils ont rendez-vous à 15h, ils considèrent que du moment qu’il n’est pas 15h ils ne sont pas en retard.

MLBT : Oui mais ça fait perdre beaucoup de temps…

Bruno : Oui, vous savez ici ils ont du temps à perdre. Il y a beaucoup de personnes qui sont payées pour faire la queue, ça s’appelle des « runners ».  Ils n’en ont rien à faire que ça prenne une heure ou deux heures puisque c’est leur travail. C’est frustrant de perdre du temps mais il faut savoir passer au-dessus de ça. Tu ne changeras pas les gens et leur manière de vivre. Tant qu’il y aura des gens qui seront payés à attendre, ça n’évoluera pas. Ce sont des frustrations de la vie de tous les jours auxquelles il faut s’adapter sinon ça va vous bouffer.

Malgré tout, il ne faut pas négliger les « runners », ils créent des emplois et sont utiles parce qu’ils te facilitent la vie. Je vous donne un exemple de la vie de tous les jours. Je cherche un cadre pour mes photos. Premier challenge, trouver où se vendent les cadres. Aussi étonnant que ça puisse paraitre, ce n’est pas si évident et à chaque fois que je demande on me répond « je ne sais pas ». En plus, comme on est étrangers, ils vont partir du principe que c’est plus simple de te dire non que de t’expliquer où c’est.

Une fois que j’ai enfin trouvé où acheter les cadres, j’en achète un et je demande au vendeur un clou. Le commerçant n’en vend pas. Je lui demande où je peux en trouver et il me répond… qu’il ne sait pas ! Donc il faut se remettre à chercher un boutique où il y a des clous, redemander à plein de personnes différentes etc. Et c’est toujours comme ça.

Dans ce genre de situation, il ne faut pas laisser aller la frustration. Si ça te frustres, la fois suivante tu t’adaptes et tu envoies ton « runner ».

MLBT : Mais, est-ce qu’il fait vraiment ce que tu as demandé ? Par exemple, si tu lui dis de te ramener un cadre ?

Bruno : Il faut être le plus spécifique possible. Il faut dire que c’est un cadre, préciser la couleur, la taille, le motif, la référence etc. Sinon, il reviendra sans rien parce qu’il n’était pas sûr. Il n’aura pas non plus le réflexe d’appeler pour demander. Ils n’ont pas du tout l’esprit d’initiative, ça n’existe pas ici. Ils ne veulent pas prendre de risques.

MLBT : Lorsqu’on était chez les Fresnel hier on a cru comprendre que tu avais vécu en Californie ? Qu’est-ce que tu y faisais ?

Bruno : Oui, après mes études d’école de commerce, j’ai fait un MBA en Californie et je suis resté y vivre quelques années. Je m’occupais de vendre des produits « gourmets » pour une entreprise qui était en pleine extension. A l’époque, les perspectives de croissance étaient décuplées ce qui provoquait d’énormes opportunités. J’étais dans la Silicon Valley à un moment où Google n’avait que 5 employés ! C’est aussi à cette période que j’ai rencontré ma première femme.

Je suis revenu en France quelques années plus tard et j’ai travaillé plusieurs années en tant que responsable export dans plusieurs entreprises. Quand j’ai quitté ma dernière entreprise, j’ai fait du middle management entre mes clients et mes fournisseurs. Aujourd’hui, je gagne encore de l’argent grâce à ça. En même temps, j’ai monté une société où j’aidais des petites PME à faire de l’export dans les produits de pâtisserie.

MLBT : Comment es-tu arrivé aux Philippines ?

Bruno : Il faut savoir qu’en 2008, j’ai divorcé. Peu après, je suis allé voir un distributeur et un fournisseur à Macao. J’avais rendez-vous avec mon distributeur le soir sauf qu’à la dernière minute, il m’a appelé pour reporter notre rendez-vous au lendemain matin. Je suis allé manger au restaurant français où j’ai rencontré mon épouse actuelle! Elle était serveuse dans ce restaurant où il y avait une majorité de staff philippin. Au début je ne devais y rester qu’une journée et je suis finalement resté pendant 1 semaine. Je suis rentré en France fou amoureux et je faisais l’aller-retour jusqu’à Macao toutes les semaines. Au bout d’un mois et demi, je suis allé voir mon distributeur sur place en lui expliquant que je voulais m’y installer et que je cherchais une entreprise à racheter. Coup de chance, il voulait vendre la sienne. Je l’ai rachetée et je suis allé m’installer à Macao.

MLBT : Qu’est-il advenu de cette entreprise ?

Bruno : Je l’ai revendu car on avait fait une perte de 1 million d’euros en deux ans. Aujourd’hui, je suis consultant pour deux entreprises. Je m’occupe de leur développement export pour le marché asiatique.

Entre temps, après avoir vendu mon business à Macao, j’ai acheté des terrains et j’ai construit des maisons. J’ai monté un projet immobilier de A à Z, j’ai construit et revendu 12 maisons. Ça a duré deux ans et demi.

MLBT : Tu as quand même gagné beaucoup d’argent dans ta vie. Qu’est-ce que tu penses quand tu vois des jeunes comme nous qui ont fait les mêmes études que toi et qui n’arriveront probablement pas à gagner aussi bien leur vie que toi ?

Bruno : Ca dépend de la vie que vous voulez ! Je vais vous raconter une anecdote. Mes potes de lycée me disent : « Quelle chance tu as de mener la vie que tu mènes ». Je leur réponds : « Non, tu ne regardes pas ta vie du bon côté. Moi j’envie ta stabilité ». Ils ont la même vie depuis 15 ans, la même femme, le même travail, le chien, les 6 semaines de vacances. Moi je les envie d’avoir une vie comme ça parce que j’en suis incapable. A cause de mon instabilité, j’ai fait prendre beaucoup de risques à ma famille. J’ai déjà eu des menaces de mort quand j’étais à Macao et j’ai perdu 1 million de dollars avec ma première entreprise. Ça n’a pas été drôle tous les jours et ce n’est pas des choses qui se voient sur les photos Facebook.

MLBT : Comment faire une bonne expatriation ?

Bruno : Je pense que le seul moyen de faire une bonne expatriation, c’est de rompre le cordon ombilical. Sinon tu ne vivras jamais heureux en tant qu’expatrié. Aujourd’hui je ne suis pas présent aux mariages de mes amis, aux baptêmes, aux naissances, aux anniversaires, aux décès. C’est le genre de choses auxquelles il faut se préparer. Pour moi, la seule manière de s’expatrier c’est de s’expatrier de manière brutale. J’ai fait le choix de ne pas fréquenter d’étrangers. J’essaye de m’insérer dans la vie locale le plus possible.

Quand tu fais cela, tu te rends compte qu’il y a plein de choses qu’on imagine françaises mais qui ne le sont pas.

MLBT : Est-ce que tu as des exemples ?

Bruno : Hier quand on était chez les Fresnel, Maxence a dit que la nourriture française et la convivialité liée au repas lui manquaient. En réalité ce n’est pas français du tout. Dans chaque pays où j’ai vécu, je me suis rendu compte que les gens faisaient ça mais d’une manière différente. En France on va s’installer à une table à 13h et on va y rester jusque 18h. Ici on va se mettre autour d’une table et jouer aux cartes pendant toute une nuit voir pendant plusieurs jours ! En plus, les philippins mangent tous le temps, quand ils parlent, qu’ils marchent, quand ils regardent la télé etc. Quoi qu’ils fassent, ils mangent. Ici la nourriture est très importante.

MLBT : Par contre peut-être que la qualité de la nourriture est moins bonne ici, non ? On a remarqué qu’il y avait beaucoup de « mal-bouffe ».

Bruno : Tout d’abord, il ne faut pas oublier que l’armée américaine est restée ici pendant très longtemps. Ça a bien effacé la culture espagnole. Il ne faut également pas oublier qu’il y a aussi la campagne profonde et là-bas on mange des feuilles de bananier, du riz etc.

Il y a énormément de personnes qui vivent sous le seuil de pauvreté. Être capable d’acheter un hamburger à Jolibee (fast-food local), c’est une ascension sociale. Un philippin qui sort de la campagne et qui est capable de s’acheter un burger se dit qu’il monte d’un statut. Pour eux c’est l’ouverture du monde occidental.

MLBT : Comment voient-ils les étrangers ?

Bruno : Les philippins sont beaucoup dans l’acceptation. A l’inverse de nous qui cherchons à comprendre et qui passons notre temps à juger. On a besoin de juger même si ce n’est pas négatif, de savoir ce qui est mieux ou moins bien. Eux jugent beaucoup moins. Ils s’adaptent en essayant de nous faire plaisir. C’est très présent en Asie le « faire-plaisir ». C’est quelque chose qu’on ne connait pas en France.

MLBT : Est-ce que tu aurais un conseil à donner aux gens qui souhaitent partir à l’étranger ?

Bruno : Si j’étais jeune, il est clair que je partirais ! Il y a trois pays que j’envisagerais si j’avais 25-30 ans : les Philippines, le Cambodge et l’Indonésie. Il y a peu de temps, j’ai lu un article qui disait qu’en 2050, les Philippines seraient la 15ème puissance mondiale. C’est donc un pays d’avenir. Ici tout est à faire. En plus c’est relativement simple puisqu’il suffit de dupliquer ce qu’on connait déjà dans les autres pays. Au Cambodge et en Indonésie, c’est le même principe.

Je sais qu’il y a des gens qui restent en France pour la retraite, la sécurité sociale etc. En ce qui me concerne, je n’ai pas tout ça donc ça m’enlève déjà un frein dans ma liberté d’action. Ici, il n’y a pas de sécurité sociale, ça simplifie les choses,  il faut tout payer. Si tu n’as pas d’argent tu n’es pas soigné. Il y a peu, j’ai eu un différend avec la meilleure amie de ma femme. Son mari est mort devant l’hôpital parce qu’elle n’avait pas les moyens de payer et elle n’a pas osé m’appeler. Il est mort d’une occlusion intestinale devant les portes de l’hôpital !

La France a un très beau modèle de santé. Il ne faut surtout pas l’oublier. Le seul souci c’est que les français veulent garder leurs acquis, ils veulent avoir des soins gratuits mais ils ne veulent plus payer. Quand on est aux Philippines, on se rend compte de l’importance et de la qualité de notre système de santé publique.

Maxence Pezzetta

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