Johann Roussel et Audrey Golitin se sont expatriés en Australie. Ingénieurs de formation, ils ont décidé de s’installer à Perth et de reprendre des études. Ils nous racontent leur choix de quitter Paris pour reconstruire une vie à l’autre bout du monde.
My Little Big Trip : Comment en êtes-vous arrivés à vous expatrier en Australie?
Johann : C’est une longue histoire (rires). On s’est rencontrés à Bordeaux à la fin de nos études. Nous sommes tous les deux ingénieurs de formation. On a été diplômés en 2008 au moment où la crise débutait.
Audrey : De mon côté j’ai fait ma dernière année d’école d’ingénieur à Sydney. Johann a fini ses études 6 mois avant moi car mon échange à Sydney m’a décalé dans le cursus.
Johann : J’ai donc essayé de trouver un travail à Bordeaux le temps qu’Audrey finisse ses études. Nous n’avions pas particulièrement envie d’aller à Paris. Quand elle a terminé ses études, je n’avais toujours rien. On s’est rendus compte que tous ceux qui n’avaient pas trouvé de travail au début de l’été 2008 ne trouvaient plus car les recrutements étaient gelés. J’ai fini par trouver un travail à Paris en mars 2009.On a donc emménagé ensemble et Audrey a également trouvé un travail à Paris.
MLBT : Quel a été l’élément déclencheur de votre départ à l’étranger ?
Johann : On est restés deux ans à Paris et ça nous a vite pesé, notamment le « métro boulot dodo ». On avait aussi l’impression d’être dans un monde d’apparences…
Audrey : On s’est rendus compte que les gens se définissaient uniquement par leur emploi. Le but était de se mettre dans des cases. Malgré tout, nous n’avons pas du tout vécu Paris de la même façon. J’étais dans une grosse entreprise et Johann était dans une PME.
MLBT : Quelles ont été vos expériences de la vie parisienne ?
Audrey : Pour vous donner une idée, j’ai une collègue qui appelait les grosses entreprises des « prisons dorées ». C’est-à-dire que tu as tout un tas d’avantages et une carrière assurée mais ta vie est tracée. Tu connais ta vie et ta carrière professionnelle pour les 15 ou 20 prochaines années. Sauf que tout a changé avec la crise. Les emplois n’étaient plus aussi sûrs.
En plus ce qui me dérangeait c’était le désir d’être ailleurs qu’ont les gens qui vivent à Paris. Ils passent leur temps à souhaiter être en week-end ou en vacances ou alors, ils rêvent de la province mais ne partirons jamais ! Je ne comprends pas pourquoi ils ne partent pas s’ils ne sont pas bien là où ils sont. Pourquoi restent-ils tous là ?
MLBT : À ton avis, pourquoi les gens restent là où ils sont alors qu’ils rêvent de partir ?
Audrey : Peut-être pour l’argent. Ils ont sûrement peur de perdre ce qu’ils ont déjà même si ça les rends malheureux.
Johann : Il y a aussi beaucoup de gens qui ont peur du changement.
Audrey : Le problème c’est que ne rien faire, c’est pire que la peur ! Ça les tue. C’est pour ça qu’on a voulu partir. Pour moi, l’événement décisif s’est produit un matin alors que j’allais bosser. J’étais dans le métro, il y avait une femme en tailleur et attaché-case comme tout le monde. Comme tous les matins, il y avait du monde dans le métro et personne ne souriait. On s’est arrêté à une station. La femme est descendue. Elle s’est assise par terre sur le quai et elle s’est mise à pleurer. Elle faisait une dépression nerveuse. Ça a été le déclencheur.
Johann : Moi j’aimais bien le côté culturel de Paris, j’avais aussi beaucoup d’amis qui avaient fini leurs études à Paris et qui y vivaient. J’aimais la dynamique de la ville. J’arrivais à passer au-dessus du côté stressant et « train-train » de Paris parce que je me mettais dans ma bulle. Au niveau boulot, je n’étais pas vraiment épanoui. Je bossais avec des gens très compétents, j’avais des projets très variés. C’était super formateur mais je pense que l’ambiance PME et les méthodes de travail n’étaient pas ce que je recherchais à ce moment-là. J’y suis tout de même resté deux ans. À la fin du CDD d’Audrey on a décidé de partir.
En plus, je n’avais pas eu l’occasion de partir en échange pendant mes études et j’ai toujours adoré l’anglais. Je voulais le mettre en pratique, ça faisait longtemps que j’y pensais. On s’est dit que c’était le moment. On était fin 2010.
Audrey : Autre élément, j’avais l’impression qu’en France on n’avait pas besoin de moi…
Johann : Et qu’il n’y a pas d’avenir pour des jeunes.
Audrey : En plus on se disait : « A quoi ça sert de rester ici à faire un travail qu’on n’aime pas alors qu’on n’aura probablement pas de retraite ni rien ? ».
MLBT : Vous avez donc décidé de partir en Australie ?
Johann : Oui. On a décidé de partir en Australie notamment pour des facilités de visa et parce que c’est un pays anglophone. Le Working Holidays Visa (=WHV ; visa vacances travail) s’obtient en 24h.
Audrey : Et pour le climat ! (rires).
MLBT : Comment vous êtes-vous préparés pour partir en Australie ?
Audrey : On n’avait pas vraiment prévu de programme ! On est partis juste avec nos valises, nos économies et une réservation dans une auberge de jeunesse. Les gens ne comprenaient pas ! Ils avaient l’impression qu’on était tombés sur la tête et qu’on était en train de gâcher notre avenir professionnel.
Johann : On est simplement partis de Paris en se demandant ce qu’on voulait faire et en identifiant ce qu’on ne voulait pas faire. Je voulais aussi redéfinir mon projet professionnel.
On a commencé à Sydney. On est resté 1 mois à faire les touristes. Les sous partaient vite et après 3 semaines ona décidé de chercher un boulot.
Audrey : En fait, je ne voulais pas rester à Sydney. Ça me faisait un peu penser à Paris pour le côté froid et impersonnel. En plus il ne fait pas aussi beau que ce que je pensais. L’été est pluvieux et il y a un vrai hiver. J’imaginais qu’il faisait beau toute l’année !
Johann : Je trouve que Sydney c’est comme un petit New-York. C’est dynamique, il y a un centre d’affaires et l’accès à la culture mais on savait qu’on pouvait renouveler le visa si on passait trois mois dans les fermes. On avait aussi envie de faire un road trip, donc on a acheté un break. On a trouvé un boulot dans le Queensland dans les fermes près de Brisbane. C’était peu enrichissant professionnellement mais au niveau personnel c’était génial. On était dans petit patelin entouré de vaches, de plaines, de mouches (rires). Ça nous a permis de nous ressourcer. On a vu des kangourous en pleine nature ! C’était génial !
Audrey : Après ces 3 mois dans les fermes, on a longé la côte jusque au Nord-Est. Ensuite on a traversé le désert et on a remonté l’Australie jusqu’à Darwin.
Johann : Ça c’est très bien passé pour nous. On a rencontré des gens exceptionnels sur la route qui nous ont aidés sans rien demander en retour.
Audrey : Ça m’a réconciliée avec la nature humaine. Surtout après Paris !
Johann : On a aussi fait du Woofing. C’était exceptionnel. On était dans un ranch avec 2000 têtes de bétail, il y avait des vrais cow-boys avec des lassos !
Audrey : C’était vraiment leur métier ! On a vécu des choses qu’on n’aurait jamais faites en France. On avait soif de ça, on voulait de l’aventure.
Johann : Ce n’était pas utile sur le plan professionnel mais ça nous a vraiment fait du bien de sortir de notre formatage : travail-société de consommation etc. On voit des gens qui vivent des vies différentes à l’autre bout du monde et dans un pays développé ! Ça fait vraiment réfléchir!
MLBT : Et pourquoi avez-vous choisi de vous expatrier à Perth ?
Johann : Pendant tout notre road trip on a entendu beaucoup de bien de Perth. On nous a dit qu‘il y avait du boulot grâce aux mines donc, après Darwin, on est allés à Perth en longeant la côte ouest.
Audrey : On est arrivés à Perth en septembre 2011.
Johann : Au début ce qu’on voulait c’était chercher des boulots un peu plus qualifiés que ce qu’on avait pu faire pendant le road trip
Audrey : Moi je n’avais jamais eu l’occasion de faire des petits boulots avant. J’ai toujours voulu travaillé dans un café face à la mer. Un jour on est passé devant un établissement qui donne sur la mer et j’ai demandé s’ils cherchaient quelqu’un. J’ai été embauchée tout de suite. Ça m’a fait du bien parce que je ne voulais pas être dans un bureau et rester assise toute la journée. Le contact avec les gens me manquait et je réalisais l’un de mes rêves. J’ai fait ça pendant 6 mois.
Johann : En attendant de trouver un travail plus qualifié, j’ai trouvé un job dans une boîte comme la « Fnac ». J’étais vendeur au rayon nouvelles technologies. A ma grande surprise, je me suis éclaté! Je suis ingénieur, pour moi la vente était à l’opposé de mon profil ! Au début je ne me voyais pas capable de faire ça et en fait j’ai explosé mes objectifs. J’étais dans la technologie, j’adorais ça et j’en parlais avec passion.
Audrey : L’avantage d’être en contact avec des gens tous les jours dans son travail c’est qu’on se fait un carnet d’adresses de fou! Je pense qu’on avait besoin de renouer avec un côté relationnel qu’on avait perdu en France.
Johann : On a arrêté les premiers jobs au bout de 6 mois à cause du visa. C’était en juillet 2012. Entre temps on se demandait ce qu’on allait faire parce que le fait d’être en Australie n’était pas une fin en soi. Moi ce qui m’intéressait c’était le design de produit. Je me suis rendu compte que ça m’intéressait beaucoup plus que l’expertise technique.
Là je viens d’être pris dans un magasin de grande marque informatique. Cette marque est géniale pour moi car sa politique est de faire le meilleur produit à tous les points de vue ! Mon boulot est plus technique qu’avant, mais j’ai aussi une grande relation avec les clients, à mi-chemin entre conseils et réparations des produits. C’est super intéressant et ce sont des postes presque inaccessibles pour les Français! C’était inespéré, je suis ravi !
MLBT : Comment avez-vous fait pour les visas?
Audrey : Notre deuxième WHV est arrivé à expiration en janvier 2013. Là on est passés sur un via étudiant et on a repris des études.
Johann : J’ai repris une formation de design industriel qui est probablement la meilleure d’Australie. Je m’éclate, c’est génial ! Et Audrey a aussi décidé de reprendre ses études.
Audrey : Oui. Le côté corps humain/biologie m’a beaucoup manqué pendant mes études. Donc là je complète ma formation en faisant des études de techniques biologiques. Ce que je veux c’est aller encore plus loin de ma formation française et m’orienter plus vers de la médecine.
MLBT : Combien de temps envisagez-vous de rester en Australie?
Audrey : Notre projet se situe sur du moyen/long terme, c’est-à-dire qu’on veut rester au moins 5 ans ici. On a de la chance car nos formations sont sur la liste des métiers demandés par le gouvernement australien. On peut donc déjà faire la demande de résidence permanente.
MLBT : Donc vous comptez vraiment vous implanter en Australie ?
Audrey : Oui, ça fait déjà longtemps qu’on est ici et maintenant on fait des études. Ça coûte très cher, on voudrait construire sur du long terme et investir. Si on passe résidents permanents on paiera moins cher les études et si on veut, on pourra travailler plus d’heures. On aura les mêmes droits que les australiens sauf qu’on ne pourra pas voter.
MLBT : Quel est votre ressenti sur l’Australie ?
Audrey : On sent que c’est dynamique ! Je ne sais pas si ça va rester comme ça longtemps mais ce qui est sûr c’est que ça ne sera plus jamais comme ça en France.
Johann : Ici on peut vivre confortablement et mettre de côté. Il y a de l’avenir, on n’a pas besoin de faire un boulot qui ne nous plait pas et continuer de se priver parce qu’on ne gagne pas assez.
MLBT : Quels conseils donneriez-vous à une personne qui veut s’expatrier en Australie ?
Audrey : Personnellement, je pense qu’il faut se lancer et arrêter de tout prévoir parce que toutes les opportunités qu’on a eues on ne les aurait pas eu ailleurs. Il faut saisir les opportunités comme elles se présentent et après ça ne s’arrête plus !
Johann : Ici tu peux vraiment tenter ta chance !
Audrey : Mais il faut le mériter, ce n’est pas simplement en déposant un CV que tu trouveras du travail. Il faut parler anglais. Il faut garder à l’esprit que tout le monde parle mieux anglais que les français ici. Il faut arriver humble.
Johann : On est loin de la France ici et ils ne nous attendent pas. Ils s’en foutent qu’on soit français. Ils sont très gentils avec nous mais ils ne donneront pas de travail en priorité parce qu’on est français.
Audrey : Par exemple, dans nos boulots, il n y a pas d’autres français. On a réussi à bien s’intégrer. Ce n’est pas parce que tu es fier d’être français que tu vas trouver un boulot.
Johann : Il faut aimer l’Australie. Il faut que les australiens sentent que tu as envie de t’impliquer et de rester.