P. Kedemos : Consul en Australie

Nous rencontrons Patrick Kedemos, consul honoraire de la France en Australie Occidentale. Il accepte de nous parler de la situation économique actuelle en Australie, de la tendance à venir et donne quelques conseils aux nouveaux arrivants.

MLBT : Bonjour Patrick, l’Australie est souvent considérée comme un Eldorado. Or, les entrevues que nous avons précédemment réalisées ne nous donnent pas ces impressions. Qu’en pensez-vous ?

Patrick Kedemos : Il faut savoir que rien n’est facile. En Australie, il y a des opportunités mais il faut aller les chercher. Étant au cœur de la communauté française, je peux vous donner de nombreux exemples qui montrent la facilité ou la difficulté de faire sa vie ici. Il y a énormément de cas de personnes ayant sous-estimé un certain nombre de variables et pour lesquelles rien n’évolue, même 10 ans plus tard.

L’Australie est une zone très contrastée qui n’a rien à voir avec la France. Si nous retirons les personnes arrivant de l’extérieur du pays et qui créent de la croissance, le secteur minier, l’« Oil and Gas », et que nous ajustons la croissance sans ces deux facteurs là, nous retrouvons la même croissance qu’en Europe. Le pays est entraîné par de fortes locomotives représentées par les secteurs les plus porteurs. Les gens entrainés par ces locomotives se portent plutôt bien. Dans l’ensemble, l’économie se porte bien. En revanche, si nous parlons à une assistante de direction ou à un informaticien, ils nous diront que ce n’est pas toujours facile. Les prix augmentent très vite et les salaires ne suivent pas nécessairement. Nous obtenons donc une situation très contrastée.

MLBT : Cela signifie-t-il que la situation est différente dans les autres États australiens ?

Patrick : Je possède une entreprise cotée en bourse qui construit des usines de traitement des déchets. Nous embauchons beaucoup de personnes mais c’est également très difficile. Les secteurs miniers et de « l’Oil & Gas » font tout pour attirer les meilleurs profils. Les salaires sont très élevés à l’embauche mais nous rencontrons des difficultés à garder les employés. L’économie est sous tension. C’est une économie à deux vitesses. En fonction des États et du secteur d’activité, les difficultés seront différentes.

L’Australie va devoir ajuster un certain nombre de choses. Le prix de l’immobilier est très difficile à justifier. Beaucoup de gens sont très endettés. La raison pour laquelle les personnes gagnent autant d’argent par rapport à la France, c’est parce que le Dollar Australien est fort. Lorsque celui-ci baissera, les gens gagneront moins. Certaines entreprises seront avantagées, notamment les entreprises manufacturières, alors que d’autres seront pénalisées.

MLBT : Pourquoi la valeur du Dollar Australien a-t-elle autant augmenté ?

Patrick : Le boom minier en est la cause principale. Je pense cependant que cette situation ne durera pas éternellement. Le boom minier est en train de faiblir. Selon les hypothèses, les gens disent que c’est en train de s’arrêter ou que ça peut continuer encore deux ans.

MLBT : Que va-t-il se passer ensuite selon vous ?

Patrick : Je pense que le Dollar va baisser, que les prix de l’immobilier ne resteront pas ce qu’ils sont, que les dettes des gens seront très difficiles à porter et que les personnes habituées à des salaires plus élevés vont devoir se réajuster. L’Australie a évité la crise car la conjoncture du secteur minier et de l’Oil & Gas se portait très bien. Le gouvernement a eu la possibilité d’intervenir massivement au niveau fiscal et monétaire. Tout cela est terminé maintenant, d’autant plus que les secteurs porteurs montrent des signes d’essoufflement.

MLBT : Quelle valeur va donc créer l’Australie ?

Patrick : La croissance a été créée par le bâtiment, l’ingénierie et la construction. Ces secteurs d’activités ont eux-mêmes été portés par le boom minier. Par exemple, la construction d’installations pour les mines est un investissement qui ne se fait qu’une fois. Par conséquent, lorsque le projet est terminé, les employés n’ont plus rien à faire et il n’y a plus de raison de les payer autant puisqu’ils ne sont plus « rares ». Ils doivent trouver un travail dans d’autres secteurs qui n’embauchent pas autant. Ils voient donc leur salaire diminuer. Enfin, les projets sont devenus trop chers en raison du coût élevé de la main d’œuvre et les investisseurs ne veulent donc plus créer de projets en Australie. Le problème est donc renforcé.

Le secteur minier fonctionne par cycles « boom and bust ». Là nous arrivons à la fin du « boom », il est donc logique de penser que le « bust » n’est pas loin. Ce cycle a été particulièrement long, il s’est calmé au moment de la crise mais il aura tout de même duré environ 15 ans.

MLBT : Selon vous, combien de temps durera la récession?

Patrick : Ce ne sera pas forcément une récession. Ça le sera peut-être à Perth et dans le Queensland, qui sont des États très similaires, mais pas forcément dans le reste de l’Australie. En effet, les autres États souffrent beaucoup du boom minier. Les secteurs manufacturiers ne sont plus compétitifs parce qu’ils ont du mal à embaucher et à garder leurs employés. C’est pour cela qu’il va y avoir un rééquilibrage, l’Australie Occidentale va entrer en récession et les autres états vont sans doute mieux se porter.

Comme je vous le disais, c’est une économie à deux vitesses. C’est pour cette raison que l’accès à l’emploi varie en fonction de l’Etat et le secteur dans lequel vous cherchez. L’environnement est dynamique, il est en mouvement permanent.

En fonction de l’Etat, la situation change. Pour vous donner une idée, le chômage en  Australie Occidentale et dans le Queensland a baissé de 0,4 point en 1 mois (ce qui est énorme) alors qu’il a augmenté dans les autres États.

MLBT : L’Australie est donc une terre où il est possible de gagner beaucoup d’argent (moyennant d’avoir les compétences) mais ce n’est peut-être pas le meilleur moment pour arriver ?

Patrick : Ce n’est probablement plus le meilleur moment pour arriver en Australie. C’est un endroit où les gens ont l’impression de gagner beaucoup d’argent parce que les salaires sont élevés mais le coût de la vie est tel que les gens ne gagnent pas autant qu’ils le pensent. Mais dans l’ensemble, la vie est plus facile ici. Les gens sont positifs, il fait beau, il y a de la croissance, l’administration est au service des gens. En revanche, les français ont tendance à passer au second plan le cout de la scolarité, de la santé et du logement. Ils oublient toutes les choses dont ils bénéficient gratuitement en France. Bien entendu, la situation est différente pour celui qui travaille dans le secteur minier et qui gagne 300 000 Dollars par an mais il faut garder en tête que le secteur minier emploie seulement 100 000 personnes. Donc oui, les français auront une meilleure qualité de vie mais il ne faut pas s’attendre à des miracles.

MLBT : Lorsque l’on entend les français parler de l’Australie, nous avons l’impression qu’ils ne veulent pas entendre parler des points négatifs. Qu’en pensez-vous ?

Patrick : C’est normal, la France est un pays où les gens parlent de la crise depuis toujours. Nous en parlions déjà lorsque je suis rentré sur le marché du travail en 1995 !  De ce fait, tout ce qui peut sembler comme un peu meilleur attire. On parle de l’Australie comme d’un pays sans crise. Aujourd’hui, je vois de plus en plus de jeunes couples immigrer en Australie. Ce ne sont pas des expatriés qui ont été envoyés par leur entreprise ou des célibataires qui ont rencontré quelqu’un ici comme on le voyait il y a encore 2 ans. Depuis 18 à 24 mois, nous voyons un nouveau phénomène migratoire. Ce sont des couples et des familles entières qui immigrent en Australie.

MLBT : Revenez-vous régulièrement en France?

Patrick : Lorsque j’étais chez Air Liquide, je rentrais en France en moyenne tous les trimestres et maintenant je rentre plutôt une fois par an.

 MLBT : Qu’est ce qui vous choque lorsque vous rentrez ?

Patrick : Le marasme. C’est un pays où collectivement et individuellement les gens sont déprimés. C’est un état de déprime général et des relations de défiance entre les gens. C’est le jour et la nuit avec ce que je connais ici. Bien évidemment, il y aussi des situations difficiles en Australie mais les gens sont dans l’ensemble plus positifs. Il y a une perspective, on s’inscrit dans l’avenir en pensant que demain sera meilleur qu’hier…

MLBT : …Alors que c’est l’inverse en France ? Pensez-vous que cela va changer ?

Patrick : Oui j’ai parfois l’impression que c’est l’inverse. Je ne dis pas qu’il est impossible que les choses s’améliorent mais si je compare la situation d’aujourd’hui à la France il y a 5 ans, 10 ans ou 15 ans, je constate que la situation a empiré.

MLBT : On parle beaucoup d’immigration mais on ne parle pas trop d’émigration…

Patrick : Je pense que la France manque d’immigrés ! La France n’a pas une politique d’immigration choisie.  La France n’a pas choisi de faire de l’immigration un outil de croissance en choisissant des profils qui manquent dans l’économie, les attirer pour qu’ils se sentent bien, qu’ils décident de rester, et qu’ils payent des impôts. Je suis très favorable à l’immigration mais je pense qu’elle doit être choisie. Elle doit permettre d’apporter de la croissance économique et d’investir. Je fais la comparaison entre un système que j’ai expérimenté ici et qui marche bien.

MLBT : Les profils d’écoles de commerce arrivent-il à trouver du travail en Australie?

Patrick : Ça dépend des personnes. Il y a des personnes qui savent s’y prendre et d’autres non.

MLBT : Comment faut-il s’y prendre ?

Patrick : Il faut faire du networking. Ceux qui arrivent et qui ont les compétences de networking et de communication arrivent très bien à s’intégrer. Les autres ont beaucoup plus de mal. Il faut aller de l’avant, il faut tisser des relations et aller rencontrer les gens. Il ne faut pas penser que ça va marcher juste en postulant à des emplois. L’obstacle du visa est également à prendre en compte. Les emplois sont là mais pour les gens n’ayant pas de réseau, de visa, et un bon niveau d’anglais, les obstacles deviennent très vite insurmontables. Mais dans l’ensemble, c’est tout de même beaucoup plus facile qu’en France. Selon moi, un français qui n’a pas trouvé en un an est un français qui a forcément fait des erreurs.

MLBT : Nous avons pourtant rencontré des gens à Perth qui parlent anglais, qui n’ont pas de problème de visa, qui ont des compétences, qui vont prendre des cafés avec d’autres personnes et qui ne trouvent pas d’emploi…

Patrick : A Perth, c’est une dynamique un peu différente car c’est une ville très centrée sur les secteurs « mining » et  « oil  and gas » ce qui fait que dès que nous sortons de ces secteurs, il est très difficile de trouver quelque chose. En dehors de ces secteurs, les sièges sont souvent sur la côte Est, il y a très peu de jobs de cadres basés à Perth. Il y a déjà beaucoup de personnes basées ici qui ont leur réseau et qui connaissent les recruteurs. Les français qui cherchent des postes de cadres ici sont en concurrence frontale avec toutes les personnes qui ont étudié ici et qui ont la nationalité australienne. A Sydney et à Melbourne, il y a probablement davantage d’opportunités car c’est là que se trouvent de nombreux sièges sociaux.

MLBT : Pourtant nous avons rencontré des gens qui n’y arrivaient pas non plus à Sydney…

Patrick : C’est normal. Il ne faut pas tomber dans les caricatures. Il y a des jobs mais il faut les trouver et si un recruteur a le choix entre plusieurs candidats, il va regarder les visas et prendre le candidat le plus simple à embaucher, ce qui est normal. Mais rien que le fait qu’il y ait autant d’entreprises qui prennent la peine de mettre en place ces visas prouve qu’il y a de la demande. Il faut tout de même savoir que 120 000 personnes décrochent  un visa 457 chaque année.

Sachant que trouver en Marketing/Communication pour un français en Australie est ce qu’il y a de plus difficile. L’Australie n’a pas de manque en Marketing ni en Communication.

MLBT : Avez-vous des conseils à donner à nos internautes ?

Patrick : Il faut leur dire que le coût de la vie est élevé en Australie . C’est un environnement dans lequel on se sent bien si on est débrouillard, qu’on réussit à trouver un bon emploi rapidement et qu’on est conscient que tout va coûter assez cher. Si on est un peu juste, sans réseau, les dépenses viennent rapidement noircir le tableau. C’’est d’autant plus difficile pour les familles avec des enfants car il faut ajouter les frais médicaux et les frais scolaires. L’Australie est donc une très bonne zone pour immigrer mais attention, ce n’est pas l’Eldorado que nous imaginons depuis la France.

 

     Maxence Pezzetta

Category: AUSTRALIE
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One Response
  1. Laurent says:

    Clair, net et precis!

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