Nous rencontrons Aurélie autour d’un chocolat chaud en plein cœur de Montréal. Voilà maintenant près de 6 ans qu’elle vit à Montréal et elle a bien décidé d’y rester encore un bout de temps. Elle nous fait part de son vécu et des conseils qu’elle donnerait aux nouveaux arrivants.
My Little Big Trip : Bonjour Aurélie, peux-tu nous expliquer pourquoi tu es venue t’installer au Canada ?
Aurélie : Bonjour ! En ce qui me concerne, j’ai suivi mon copain qui est développeur-programmeur. En 2007, il a eu une opportunité d’emploi à Montréal alors que nous étions encore en France. Il a obtenu un permis de travail fermé pour une start-up dont le concept était la création de vidéos à partir d’un texte qui a été tapé au préalable. Malheureusement, c’est une entreprise qui n’existe plus aujourd’hui mais qui existait depuis 3 ou 4 ans quand mon copain a été embauché.
MLBT : Es-tu arrivée en même temps que lui en 2007 ?
Aurélie : A l’époque, ça faisait tout juste 3 mois que nous étions ensemble et je venais d’accepter un nouveau poste en France. Je travaillais dans le merchandising ce qui était vraiment ce que je voulais faire à l’époque. Sauf que rapidement les circonstances ont fait que je n’étais plus autant attachée à mon travail : j’avais 1h30 de transport et vivre à distance de mon copain me pesait plus que je ne l’aurais imaginé. Les PVT ont ouvert en novembre et j’ai posé ma candidature. Je l’ai eu quelques semaines plus tard, j’ai quitté mon travail à la fin de la période d’essai et je suis arrivée à Montréal en février 2008.
MLBT : Dans quel état d’esprit es-tu arrivée à Montréal ?
Aurélie : Je ne connaissais pas vraiment Montréal, j’étais simplement venue une fois pour un court séjour mais pas assez pour vraiment connaître la ville. Lorsque je suis arrivée, mon copain avait déjà un boulot et un appartement donc ça m’a rassuré. Malgré cela, dès les premiers jours mon objectif était de trouver un travail car je voulais être la plus indépendante possible. J’ai donc commencé à chercher un petit boulot que j’ai trouvé grâce à une agence de placement. Il s’agissait d’un poste en banque en tant qu’assistante. J’ai été très transparente donc ma chef savait que je cherchais un autre travail en marketing et elle a été assez flexible sur mes horaires. Grâce à cela, j’ai pu passer d’autres entrevues. Au bout de deux mois, j’ai trouvé un travail dans mon domaine.
MLBT : Et comment as-tu évolué entre ces boulots et celui que tu fais actuellement ?
Aurélie : Pour commencer, il faut savoir que j’ai quand même changé 5 fois de job en 6 ans !
J’ai commencé par le petit boulot dont je parlais plus tôt pendant deux mois. Ensuite, j’ai été embauchée chez Reader’s Digest en tant que coordinatrice de campagnes marketing. C’était essentiellement anglophone, ce qui n’était pas évident au départ mais cette expérience a été très formatrice. Grâce à ce poste j’ai rencontré beaucoup de monde, j’ai commencé à avoir des amis etc.
MLBT : Comment as-tu fait pour te faire des amis ?
Aurélie : Dans mon cas, c’était vraiment grâce au travail. Après, il y a aussi grâce aux amis d’amis. J’avais quand même la chance d’avoir mon copain qui était déjà là, ce qui a aidé. Comme je l’ai disais toute à l’heure, mon but était vraiment d’être indépendante et de me faire mes propres amis. Je fais aussi beaucoup d’activités sportives. A chaque fois que je fais une nouvelle activité je me fais de nouveaux amis.
Même si ce n’est pas spécialement voulu, mes amis sont plutôt des Français. Je ne saurais pas l’expliquer mais parfois j’ai l’impression qu’on s’attire. Je pense que c’est parce qu’on a beaucoup de points communs donc on se lie facilement d’amitié.
MLBT : On entend souvent que même si les Québécois sont faciles d’accès, il est difficile de créer une vraie relation d’amitié. Qu’en penses-tu ?
Aurélie : Je pense que ça prend plus de temps. En ce qui me concerne, ça va faire 6 ans que je vis à Montréal et je commence tout juste à avoir des amis Québécois. Ils ont leur vie et leurs cercles d’amis qui sont déjà construits et c’est vrai qu’ils segmentent beaucoup. Par exemple, si tu les as rencontrés au sport, ils te considèrent comme un ami de sport et ils vont difficilement t’inviter à diner. Disons que ça va prendre environ deux ans pour qu’ils t’invitent à diner. Ils ne vont pas facilement créer les occasions. Culturellement, entre Français, on parle un peu et on va tout de suite proposer de venir diner à la maison. Avec un Québécois, tu vas l’inviter rapidement mais il va refuser longtemps avant de se sentir assez à l’aise pour accepter. C’est différent, il faut s’y habituer.
MLBT : Comment penses-tu que les Français soient perçus ?
Aurélie : Je pense que c’est mitigé. Nous sommes mal vus sur certains points et je le comprends. Parfois, on entend parler des Français dans la rue et on a honte. Certains Français viennent juste d’arriver et comparent tout à la France et c’est quelque chose qui est très mal pris. Nous, quand nous sommes arrivés ici, on ne s’est pas mis à critiquer. Oui il y a des choses qui nous ont étonnées et qu’on n’a pas comprises immédiatement mais on l’a accepté.
L’autre cas concerne les Français qui ne pensent pas à long terme. Ils n’arrivent donc pas à se mettre dans le mode de l’adaptation et de l’intégration du pays. Pour notre part, nous nous sentons aujourd’hui presque plus chez nous ici qu’en France. Dès que nous sommes arrivés, nous avons vraiment pris la vie ici à pleine main et nous avons créé des opportunités. Nous ne nous sommes jamais dit que nous allions rentrer en France au bout de deux ou trois ans. Il y a des gens qui sont toujours en retenue car ils se disent que, potentiellement, ils rentreront en France « bientôt ». De ce fait, ils cherchent moins à se faire des amis, à évoluer, à investir etc.
Mais globalement je trouve qu’on est bien perçus. Il y a des gens qui disent qu’il y a du racisme ici mais moi je ne trouve pas .Je me sens vraiment chez moi. En entreprise, c’est vraiment multi culturel et on se sent plutôt bien intégrés. Je trouve que Montréal est une belle ville pour cela parce qu’on vit bien côte à côte tous ensemble.
MLBT : As-tu remarqué des différences dans le domaine professionnel ?
Aurélie : Je trouve qu’au niveau professionnel, si tu montres que t’es capable et que tu travailles bien, on te donne vraiment ta chance. Il y a une vraie possibilité d’évolution. Une fois qu’on t’a cerné, on va te faire évoluer pour la personne que tu es. En France, on va te mettre dans ta case.
Sinon, je n’ai travaillé que deux ans en France mais je trouve que c’est plus productif ici. Tu arrives à 8h, tu travailles intensément, tu manges devant ton bureau et tu pars à 17h. Pendant tout le temps où tu étais au bureau, tu n’as pas eu le temps de t’ennuyer ou de perdre ton temps. En France, on arrive à 9h, on prend une pause pour le café en arrivant, quelques heures plus tard il y a la pause déjeuner etc. Apres au niveau relationnel, la différence est vraiment au niveau hiérarchique. Par exemple, je peux parler très facilement à la N+2 et elle aussi va facilement venir me parler. Quand je travaillais en France, je ne pouvais pas parler au directeur marketing car ce n’était pas approprié. Ici, tu peux parler à qui tu veux et tout le monde se respecte.
MLBT : Penses-tu que les Français travaillent de façon différente?
Aurélie : Je pense que du fait de notre éducation, nous sommes plutôt des gens de réflexion, des personnes plutôt analytiques. On nous a habitués depuis que nous sommes petits à faire des dissertations à l’école, des études de cas etc. C’est la façon dont nous avons été éduqués. Parfois on me dit que je suis Française à cause de ma façon de réfléchir.
Autre chose, ici on va facilement t’encourager dans les choses positives que tu fais et ça commence dès l’école. Le professeur va facilement te dire que tu fais du bon travail alors qu’en France on va plutôt te casser et te dire que tu pourrais faire mieux. C’est une tendance qui se ressent dans le travail. Je pense qu’en tant que Français, on doit apprendre à faire ça aussi. Il faut être capable de se mettre en valeur si tu veux monter.
MLBT : Comment faut-il faire pour évoluer ?
Aurélie : Je pense qu’il faut vraiment faire preuve d’esprit d’initiative. Il ne faut pas hésiter à demander des augmentations, à changer de poste, à faire évoluer ta description de tâches..etc
En ce qui me concerne, ma clef a été de changer de job pour faire augmenter son salaire et acquérir de l’expérience dans plusieurs domaines. On dit que la durée moyenne d’un job ici est de trois ans. Dans mon cas, je n’ai jamais fait plus de deux ans dans le même job ! J’ai aussi travaillé chez Yves Rocher Amérique du Nord et chez Cossette. Maintenant je suis chez Vidéotron. Mon poste est l’équivalent de chef de produit pour l’offre de télévision. Je pense qu’il ne faut pas hésiter à changer de boulot régulièrement et rester en veille, regarder les offres d’emploi etc.
MLBT : Quels conseils donnerais-tu à un nouvel arrivant pour trouver un travail ?
Aurélie : Je dirais qu’il ne faut pas hésiter à recommencer au début. Je m’explique. J’ai pleins d’amis qui disent : « J’étais ingénieur en France, je veux être ingénieur avec le même niveau de responsabilités et de salaire ici à Montréal. ». Sauf qu’il faut garder en tête que ça prend du temps. Trouver un travail d’ingénieur ici nécessite d’avoir un réseau et c’est ça aussi qui va permettre d’évoluer. Moi j’ai commencé secrétaire et maintenant je suis dans le poste qui me plaît et répond à mes compétences. Il y a des personnes qui attendent des mois et des mois parce qu’ils n’ont pas été embauchés dans le travail qui correspond exactement à leur compétences. Je pense que trouver un boulot, même si c’est un travail « entre deux » te met dans une dynamique. Ça te permet d’évoluer dans le marché du travail canadien. Il ne faut pas hésiter à prendre un job plus bas que tes compétences sachant que si tu montres que tu as les compétences, tu peux commencer en tant que coordonnateur et terminer au bout de trois à un poste de direction.
MLBT : Comment faut-il faire pour créer son réseau?
Aurélie : Je pense que c’est essentiellement grâce au travail et aux 5 à 7. Je connais ceux de la Jeune Chambre de Commerce de Montréal et quand je suis arrivée, je me suis inscrite dans un réseau de femmes. C’était super parce qu’on s’est tellement coachées que même quand on a arrêté le réseau, on a continué de se voir. Mais pour moi ça a vraiment été le fait d’avoir changé 5 fois d’entreprise qui m’a construit mon réseau. Il y a aussi les activités que tu fais à côté. Mais il faut garder en tête que ça se fait petit à petit. Il y a plein de réseaux de tout et n’importe quoi. Il y a aussi les réseaux d’écoles de commerce.
Il est vrai qu’aller dans les 5 à 7, c’est très intense. Il faut absolument faire une carte de visite sinon les gens se demandent pourquoi tu es là. Il faut donner sa carte facilement, et se présenter efficacement en quelques phrases. C’est très naturel pour eux donc il faut se mettre dans ce mode naturel. Je pense que ça prend entre 2-3 ans de se faire un réseau; Et puis il faut entretenir son réseau. Mais je pense que ça se fait naturellement aussi.
MLBT : Quel conseil tu donnerais à quelqu’un qui veut s’installer ici?
Aurélie : En ce qui concerne les visas, dès que tu as envie de rester il faut préparer ta stratégie. Il ne faut pas croire que ça se fait tout seul et qu’on peut repousser ça indéfiniment. Concernant le travail, il ne faut pas hésiter à changer de job et commencer par un travail moins qualifié que tes compétences. Il faut prendre des risques pour monter et garder en tête que si quelque chose te plait plus que ce que tu fais, tu changes. Je trouve que le Canada te donne la possibilité de faire ce que tu as envie de faire. Si tu veux changer de voie et devenir boulanger demain on ne te fermera pas la porte.