De PVTiste à gérant d’un restaurant

Nous rencontrons Jean-Charles Poupot, gérant d’un restaurant « Juliette et Chocolat » sur le Plateau Mont-Royal, à Montréal. Tout d’abord assistant gérant, il a été promu gérant seulement 3 mois après avoir commencé sa mission. Il nous explique son arrivée au Canada.

My Little Big Trip : Bonjour Jean-Charles, peux-tu nous expliquer comment en es-tu arrivé à gérer un « Juliette et Chocolat » à Montréal ?

Jean-Charles Poupot : Pour commencer, il faut savoir que ma compagne est Québécoise. Je l’ai rencontrée il y a trois ans, en janvier 2011. Elle faisait un Permis Vacances Travail (PVT) en France et elle en a profité pour faire le tour de l’Europe. A ce moment-là,  j’étais directeur d’un restaurant à Avoriaz, en Haute-Savoie. Elle a postulé pour être serveuse dans le cadre de son tour d’Europe. On s’est tout de suite plus et on s’est rapidement mis ensemble. Nous avons fait la saison entière à Avoriaz jusqu’au mois d’avril.

De mon côté, j’avais déjà des projets à partir du mois de juin. J’étais supposé faire l’ouverture d’un restaurant à Paris pour des Américains pour lesquels j’avais travaillé lorsque j’étais aux Etats-Unis. C’est un projet sur lequel j’étais depuis 1 an. Concrètement, je devais partir aux Etats-Unis pour 6 mois avant d’ouvrir le restaurant à Paris. Comme je devais rester à Washington pendant les 6 premiers mois et que ma copine était de retour à Montréal, on s’est dit qu’on pourrait se voir au moins un week-end par mois.

A la fin du mois de juin, le CEO de la compagnie pour laquelle je devais ouvrir le restaurant m’appelle pour me dire que le projet tombe à l’eau. En quelques heures, je suis passé d’un plan de carrière tracé à … plus rien du tout. J’ai interprété ça comme un signe et je suis parti à Montréal 3 jour après.

Je suis donc arrivé à Montréal avec un visa touriste. Je n’avais aucune idée des visas dont j’avais besoin pour rester et j’avais en poche un retour pour la France en juillet. J’ai tellement aimé Montréal que j’ai décalé mon billet pour revenir en septembre. Entre temps, j’ai appris qu’on pouvait faire un Permis Vacances Travail. Lorsque je suis reparti en septembre, je planifiais de faire une demande de PVT en octobre. Je suis donc reparti pour faire la demande de France. A ce moment, la demande se faisait encore par courrier et je ne savais pas qu’on pouvait envoyer la demande de l’étranger. Je pensais que les quotas ouvriraient en septembre-octobre alors qu’ils n’ont ouvert en réalité qu’en novembre. J’ai tout de suite envoyé mon dossier et ai reçu mon visa à peine 3 semaines plus tard. Je ne suis cependant reparti qu’en mai 2012 parce qu’entre-temps mon ancien patron m’avait proposé de faire une ouverture de restaurant pour nouvelle saison à Avoriaz.

MLBT : Tu es donc arrivé à Montréal en mai 2012, comment as-tu fait pour trouver un travail ?

J-C Poupot : Je ne suis pas le parfait exemple de la personne qui arrive ici en ne connaissant personne car j’avais ma copine sur place. Elle a une sœur jumelle qui vit dans le même « bloc » qu’elle avec son conjoint, sur le plateau (ancien quartier ouvrier de Montréal, aujourd’hui très prisé par les français). On se voit très souvent et c’est très fun car ils m’ont introduit dans leur cercle : j’ai donc eu des amis dès mon arrivée. En plus, le beau frère de ma copine est réalisateur d’émissions de cuisine, et c’est lui qui a réalisé l’émission « le chocolat selon Juliette ». Il m’a donc mis en contact avec Juliette Brun, qui est la propriétaire des restaurants Juliette et Chocolat. Je suis donc arrivé à Montréal le 9 mai, et le 9 juin je travaillais pour elle.

MLBT : Quel était ton poste quand tu as démarré ?

J-C Poupot : Au départ, je voulais être embauché en tant que gérant mais ils m’ont embauché en tant qu’assistant gérant. Ils m’avaient dit qu’ils ne pouvaient pas me garantir un poste de gérant avant au moins un an. Finalement, on m’a proposé en septembre le poste de gérant de la plus grosse succursale à Montréal.

MLBT : Par rapport à la gestion de Juliette et Chocolat, quel type de personnes recrutes-tu ?

J-C Poupot : On recrute beaucoup d’étudiants locaux. Il y a aussi quelques étudiants Français mais ils ne peuvent pas travailler plus de 20 heures par semaine à cause de leur visa. On est aussi très intéressés par les PVT car ils sont disponibles à temps plein. Le seul problème est qu’une grande majorité d’entre eux sont là pour voyager et ne sont donc pas très fidèles. Ils peuvent décider de partir voyager pendant trois mois et d’une semaine sur l’autre ils ne sont plus disponibles. En fait, il y a deux profils : ceux qui veulent faire le tour du Canada et ceux qui veulent rester au même endroit pendant 6 mois-1an.

MLBT : Comment fais-tu pour savoir s’ils vont rester ou non ?

J-C Poupot : Ça se passe vraiment au feeling. Dans un premier temps je leur demande pour voir leur réaction. Je commence à avoir l’habitude donc je sais plus ou moins s’ils planifient vraiment de rester et ensuite c’est basé sur la confiance. Je gère 50 employés dont un tiers à mi-temps et 2 tiers à temps plein donc on recrute quand même souvent.

MLBT : Tu es amené à manager différentes cultures. As-tu senti une différence dans les méthodes de management?

J-C Poupot : Je suis un restaurateur qui a été formé en France, j’ai géré des brasseries « à la française ». J’ai un tempérament assez chaud que je me suis beaucoup adouci depuis que je suis avec ma copine. Il faut savoir qu’ici, les gens ne sont pas du tout réceptifs à la confrontation et au conflit. Par exemple, j’explique parfois quelque chose et je me rends compte que ça a presque été perçu comme une engueulade alors que c’est juste ma façon de parler. Heureusement, j’ai déjà travaillé aux Etats-Unis, ainsi qu’à Paris dans des entreprises ou tous les employés étaient syndiqués, donc j’ai déjà eu l’habitude d’être plus « doux ». Ici, la restauration n’est pas du tout perçue de la même manière qu’en France. Ici la restauration c’est cool, c’est fun, mais ça n’est pas vraiment perçu comme un vrai travail.

MLBT : Du coup, quelles techniques de management emploies-tu ?

J-C Poupot : Je suis davantage dans l’émotionnel. Ici, dire qu’on est déçu de tel ou tel comportement motive plus les salariés qu’une engueulade. Ensuite, si j’ai quelque chose à leur dire de très important, je les convoque dans mon bureau avec la présence d’un assistant. C’est une habitude que j’ai prise aux États-Unis. Ici, il est toujours préférable qu’une tierce personne soit présente afin qu’il n’y ait pas de quiproquos ou de malentendu.

MLBT : Manages-tu de la même manière les Français et les Québécois?

J-C Poupot : Oui, j’essaye d’être uniforme. Je fonctionne plutôt sur le modèle québécois. J’ai été surpris de voir à quel point les Québécois sont responsables et consciencieux alors que ce sont simplement des étudiants qui ont un petit job. Les Français sont moins impliqués que les Québécois pour ce type de travail.

MLBT : Sur tous les Français qui viennent déposer leur CV, quels sont les profils que tu recherches?

J-C Poupot : Quelqu’un qui vient juste pour 2 mois ne m’intéresse pas parce qu’on a beaucoup de processus et de méthodologie à assimiler dans la préparation des produits. Former quelqu’un coûte cher et n’est pas rentable si la personne ne reste que quelques semaines. Nous visons donc le moyen terme. Il faut rester au moins 6 mois.

J’essaye aussi de choisir des personnes qui ont une expérience dans la restauration ou dans le service à la clientèle. Idéalement, je préfère ceux qui veulent travailler à plein temps et qui sont disponibles en tout temps. Idéalement, ça serait un employé avec aucune contrainte. C’est le rêve de tout restaurateur.

MLBT : Aurais-tu un conseil à donner à ceux qui cherchent un travail de ce type ?

J-C Poupot : Je pense qu’il ne sert à rien d’envoyer des CV, il faut aller les déposer. C’est ce que j’avais fait quand j’étais à Sydney et ça avait été efficace. J’avais acheté quelques guides des restaurants de Sydney et je suis allé les déposer en mains propres. Il est toujours préférable de rencontrer quelqu’un et de lui faire bonne impression, même si ça n’est pas le gérant à qui on a affaire : si le contact est bon, le gérant sera mis au courant.

MLBT : Ressens-tu la crise ici ?

J-C Poupot : Je trouve que ça va un peu au ralenti en ce moment. Par exemple, mon activité est un peu moins bonne que l’année dernière. Je ne pense pas que ça soit une crise économique mais la morosité se ressent dans les habitudes des gens. Plusieurs facteurs jouent sur le moral et les habitudes : le temps, les élections ont un impact sur l’économie. Mon restaurant fait la même taille et me coûte le même prix qu’il soit plein ou vide. Je pense qu’il y a moins de consommation depuis le début de l’année et que le temps y est pour beaucoup. L’année dernière, il a fait -20°C pendant 3 jours alors que là ça a duré un mois.

MLBT : As-tu remarqué des différences culturelles lorsque tu es arrivé ici?

J-C Poupot : J’ai un ami qui vient d’arriver en PVT, il me fait penser à moi il y a deux ans. Il trouve tout facile et tout le monde gentil. C’est vrai que le contact avec les gens est plus facile mais je trouve que la relation de service est moins bonne qu’en France. Par exemple, ici, si tu ne demandes pas de l’aide en magasin, on ne vient pas te demander. Ça me rendait fou au début parce que je suis vraiment sensible à ce genre de choses, mais je m’y suis fait !

MLBT : Est-ce que t’aurais un conseil à donner aux gens qui nous lisent?

J-C Poupot : Je trouve que nous les Français, on est trop communautaristes. Tu ne viens pas dans un pays si c’est pour vivre avec des Français, prendre une colocation entre Français, partir en voyage entre Français. Je pense que si tu veux vivre ton expérience à fond, il faut s’immerger. Je vois souvent des groupes de Français qui viennent manger chez Juliette et Chocolat. Je les entends tout comparer avec la France : « En France c’est comme ceci ou comme cela, en France il y a ceci et pas cela ». Quand j’entends ça j’ai envie de leur dire de lâcher du lest et de ne pas trop rester entre eux.

MLBT : Mais est-ce que les québécois ont envie de se mélanger?

J-C Poupot : C’est sûr que c’est difficile de rentrer dans un cercle d’amis surtout quand tu es d’une autre communauté. Mais je sais que même dans mon réseautage professionnel, je rencontre beaucoup de Québécois. Je fais partie d’une association qui m’a permis de vraiment m’immerger dans le réseau québécois des entrepreneurs.

Autre conseil pour les Français qui arrivent, ne pensez pas que le Québec vous attends et qu’il sera très facile de trouver du travail. Le Québec n’est pas non plus un eldorado. Pour réussir, c’est comme partout, il faut travailler dur et même accepter dans un premier temps de retourner à des postes moins rémunérateurs. Autre chose très importante : ici, c’est VOUS qui avez l’accent, pas eux !

MLBT : Quelle est ta vision de l’immigration au Canada ?

J-C Poupot : Je trouve que c’est relativement simple par rapport à d’autres pays comme les Etats-Unis. Il y a beaucoup de paperasse à faire donc ce n’est pas forcément amusant mais ce n’est pas vraiment compliqué. Actuellement, j’ai le CSQ et je n’ai plus qu’à faire ma demande au fédéral pour pouvoir rester ici et avoir la résidence permanente.

Category: CANADA
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