Nous rencontrons Henri Ortiz qui travaille à la chambre de commerce française aux Philippines. Il donne des formations aux nouveaux arrivants concernant les philippins et leur management. Il a vécu 31 ans en France avant de revenir dans son pays natal. Il commence par nous parler de l’histoire et la culture des Philippines.
Henri Ortiz : Savez-vous que les Philippines sont appelées l’Asie Latine ? Généralement, je commence ma formation en expliquant que les Philippines sont à l’image de 3 siècles de couvent et 50 ans d’Hollywood comme elles ont été décrites par un journaliste étranger. C’est un pays de contraste à cause de la colonisation espagnole qui est représentée par « le couvent » et de la colonisation américaine, représentée par « Hollywood ».
My Little Big Trip : Pourquoi parle-t-on d’Asie Latine ?
Henri : On dit l’Asie Latine parce que, pour les occidentaux, l’Asie est Bouddhiste alors que les Philippines sont catholiques. De plus, le contraste au sein même du pays et même des quartiers est très fort !
Les philippins sont des asiatiques mais ils veulent s’habiller comme des américains: en jeans, baskets etc. Leur aspiration est de ressembler le plus possible aux américains. On retrouve ça aussi dans l’architecture des bâtiments, dans la nourriture et dans la religion.
Les philippines sont le seul pays dans le monde entier où il n’y a pas de divorce. Il y a aujourd’hui 100 millions de philippins. Il y a également une séparation de l’Eglise et de l’Etat en théorie… mais pas en pratique ! Il faut savoir qu’en moyenne une famille est composée de 5 enfants mais certaines en ont 12 parce que la contraception est interdite. Depuis le 21 décembre 2012, après 15 ans de débats, la contraception et le planning familial ont été acceptés !
MLBT : Pourquoi les gens décident de venir aux Philippines ? Que veulent-ils comprendre ?
Henri : Je travaille sur la compréhension du travailleur philippin. Pour comprendre les philippins au travail, il faut d’abord comprendre la culture. C’est pour ça que j’insiste sur les points précédents. Chez les philippins, il y a le phénomène du Hiya. C’est leur incapacité à dire « non ». Le philippin vous dira toujours « oui » pour vous faire plaisir.
MLBT : Comment fait-on pour travailler avec une telle différence culturelle ?
Henri : Déjà, il faut comprendre cette différence. Ensuite, il faut improviser. Vous pouvez décider de ne lui donner, dans un premier temps, que la moitié de la tâche.
MLBT : On entend souvent qu’il ne faut pas leur faire perdre la face, qu’en pensez-vous?
Henri : Oui c’est vrai, d’où cette tendance à ne pas dire « non ». S’ils vous disent non c’est qu’ils ne sont pas capable de faire ce qu’on leur a demandé. Donc, ils perdent la face.
Par exemple, lorsque je suis arrivé en France et que je demandais ma route, lorsqu’on me disait « je ne sais pas » en haussant les épaules, ça m’étonnait beaucoup. Ça me vexait parce que ça me faisait perdre la face. En France, les gens répondent « je ne sais pas » et s’en vont ! Après je me suis rendu compte que les français le faisaient aussi entre eux et que ça paraissait normal. Ils se disent toujours « salut, ça va ? » et continue leur route. Une fois que j’ai compris ça, je me suis très bien intégré.
MLBT : On entend souvent qu’un philippin peut travailler pendant 1 ou 2 ans pour quelqu’un et, un jour, il peut décider de ne jamais revenir.
Henri : Oui ça peut arriver, mais ils peuvent aussi dire que c’est pour s’occuper de leur famille.
MLBT : Mais c’est la vérité ou est-ce une excuse ?
Henri : Ça peut être les deux. Il peut aussi avoir trouvé un meilleur contrat ailleurs. C’est simplement qu’il n’ose pas le dire parce que c’est gênant. Mais je vais vous dire quelque chose. On dit que la religion des philippins c’est le catholicisme mais en réalité c’est la famille. La famille est sacrée ici. D’ailleurs, si vous demandez aux philippins pourquoi ils partent à l’étranger, ils vous diront que c’est pour aider la famille. D’ailleurs, quand ils reviennent, en général, ils n’ont plus d’argent parce qu’ils ont tout envoyé à leur famille.
MLBT : Qu’est-ce qui motive les philippines ?
Henri : C’est plutôt la reconnaissance à partir du moment où ils se sentent bien. Lorsqu’ ils sentent qu’ils sont bien traités et respectés. Tout doit être dit par suggestion : « Ne pensez-vous pas que ça serait mieux de cette façon » à la place de dire « Faites comme ceci ou comme cela ». Dans tous les cas, ils vous diront oui mais ne feront le travail demandé que dans le premier cas.
MLBT : Comment un étranger peut comprendre un philippin?
Henri : Ceux qui ne veulent pas faire de formation l’apprennent par expérience. Les gens qui sont déjà venus plusieurs fois s’en rendent compte. Ici, les dirigeants ne comprennent pas cet engouement de Noël. Dès le 1er décembre, il n’y a presque plus d’activité au bureau parce qu’il y a des « Christmas party »
MLBT : Comment ça se passe ? Tout est mis sur pause ?
Henri : Il y a deux périodes avec une activité réduite comme cela : la semaine sainte et Noël. Dans ce cas le pays s’arrête. C’est un peu comme les mois d’été en France.
MLBT : Est-ce qu’il y a autre chose à savoir ?
Henri : Il faut prendre conscience du retard. Les philippins n’ont pas la notion du temps. Vous connaissez probablement le concept du Philipino Time ? Et ce concept est pertinent même à un niveau d’élite. Pour eux, ce n’est pas un manque de respect de ne pas être à l’heure. C’est juste qu’ils prennent le temps. Ils prennent le temps de se préparer, de manger, de se mettre en route etc.
MLBT : Quelle est la solution pour obtenir plus de ponctualité ?
Henri : Il faut arriver un peu plus tard, prévoir une marge quand vous annoncez l’heure à quelqu’un. Il vaut mieux dire de venir à 19h si vous voulez que les gens viennent à 20h.
MLBT : On a été confronté plusieurs fois à une sorte de « je m’en foutisme » chez les philippins. On a l’impression que rien n’a d’importance à leurs yeux.
Henri : Il y a cet état d’esprit chez les philippins. Ils sont toujours joyeux, même quand il y a un désastre. Ils sont comme ça. Je ne sais pas si vous avez entendu la révolte des militaires il y a quelques années. Il y a eu une fusillade. Tout autour, les philippins ne bougeaient pas. Pour eux c’était comme un film.
MLBT : Mais c’est de l’inconscience non ?
Henri : Non, c’est de la curiosité.
MLBT : Comment se fait-il que la plupart des enfants ont les dents toutes noires et que, malgré tout, ils continuent de boire du Coca ? Leurs mères ne devraient-elles pas les en empêcher ?
Henri : Si, mais elle ne sait pas que c’est le coca qui provoque ça. Aux Philippines, il y a un fort taux de diabète. Ils ne mangent que des féculents et ils boivent du coca. Il y a un grand manque d’information.
MLBT : Mais ce n’est pas le travail du gouvernement ?
Henri : Si, mais le gouvernement n’a pas les moyens. Comme vous pouvez le constater, les terrains très luxueux sont privés. C’est un petit nombre de familles qui possèdent les endroits les plus riches.
Ici par exemple, on ne connait jamais les horaires d’autobus. Ce n’est pas du tout organisé. On n’est pas encore arrivé à ce stade d’organisation.
Au niveau du tourisme, il y a très peu de monuments. Il n’y a pas de planning urbain tel qu’il existe ailleurs et les constructions sont éclectiques.
MLBT : Que viennent chercher les étrangers aux Philippines ?
Henri : D’après ceux qui sont installés aux Philippines depuis fort longtemps, c’est la gentillesse des philippins. On le dit dans tous les pays d’Asie mais ici, on a un fort taux de retour.
MLBT : Comment sont perçus les étrangers qui viennent ?
Henri : Ils sont très bien perçus. Ils ont l’habitude avec les colonisations espagnoles et américaines.
MLBT : Est-ce qu’ils ont la culture de l’entrepreunariat ?
Henri : Non. A l’école, on n’est pas orienté là-dedans. Ce sont les chinois qui entreprennent. Les plus grandes fortunes appartiennent aux Chino-Philippins. On dit que si les Philippines ne croient pas très vite, c’est parce qu’il n’y a pas assez de chinois.
MLBT : Il n’y a pas de protectionnisme de la part du gouvernement philippin pour se protéger les investissements étrangers ?
Henri : Si. Un étranger ne peut pas posséder une entreprise à lui seul ou majoritaire ou bien être propriétaire des terres.
MLBT : Comment peut-on se protéger, en tant qu’étranger, pour ne pas être virer du jour au lendemain ?
Henri : Déjà, il y a de plus en plus d’investisseurs étrangers. L’actuel gouvernement veut mettre en place une régularisation, notamment au niveau de la corruption. Il veut redresser tout ça.
MLBT : Quelle est la part des français qui viennent s’installer ici ?
Henri : Il y en a 2000 qui sont inscrits à l’ambassade mais il y en a beaucoup qui ne sont pas inscrits.
MLBT : Quel est l’intérêt de s’inscrire à l’ambassade ?
Henri : Pour le recensement, pour savoir que les français sont là, pour leur protection. Il y a des français qui ne veulent pas se mêler aux autres français. Il y en a qui n’ont simplement pas le réflexe de se rapprocher de la chambre de commerce.
MLBT : Quel conseil donneriez-vous à quelqu’un qui veut s’implanter ?
Henri : Je lui conseillerai de consulter la chambre de commerce pour poser toutes les questions qu’il souhaite.
MLBT : Est-ce qu’il y a un décalage entre les pratiques officielles et les pratiques officieuses ?
Henri : Ça dépend… De moins en moins. Maintenant, c’est beaucoup plus facile de créer une entreprise et de s’installer. Il y a moins de dessous de table. Même dans les bureaux, il y a des listes qui expliquent ce qu’il faut faire, qui aller voir quand on veut monter son entreprise etc.
MLBT : Quels sont les secteurs porteurs ?
Henri : Le tourisme médical entre autres.
MLBT : Ah bon ? La médecine est de qualité ici ?
Henri : Oui, ici, il y a de bonnes écoles de médecine, les médecins font leurs spécialisations aux États-Unis, en Europe ou au Japon. La chambre de commerce européenne est une chambre de membres. Ils sont là pour faire le monitoring de la qualité de services dans les établissements créés pour le tourisme médical. Ils mettent des critères pour que tout soit normalisé au niveau international.
Il y a aussi beaucoup de gens qui viennent ici pour leur retraite ou pour s’installer.
MLBT : C’est quand même plus cher qu’ailleurs…
Henri : Oui, à cause de la main d’œuvre.
MLBT : Mais, est-ce qu’elle est plus qualifiée ?
Henri : Elle parle mieux anglais et la qualité de l’éducation augmente. Dans les années soixante, tous les pays asiatiques venaient faire leurs études ici. Ça a beaucoup baissé avec la dictature mais le gouvernent veut augmenter le niveau.
MLBT : Sinon, quels sont les autres secteurs porteurs ?
Henri : L’agri-business, l’agriculture biologique et l’agriculture en général. L’informatique est aussi un secteur porteur.
MLBT : On a constaté qu’il y avait beaucoup de mal bouffe. Est-ce que vous pensez que le secteur bio a de l’avenir ici ?
Henri : Oui, ça commence au niveau de l’agriculture. Ici, il y a une chaine qui s’appelle, le mushroom burger ! Il y a des restaurants bio mais il faut les connaitre. Aujourd’hui, il y a même des boutiques et des magazines orientés biologique.
MLBT : Aujourd’hui, est-ce que les Philippines sont un pays ou une ancienne colonie ?
Henri : C’est un pays avec un lien très fort avec les États-Unis. Ils hésitent encore beaucoup à se rapprocher de l’Europe. Les Philippines ne voient pas l’importance de l’Europe car leur éducation n’est pas orientée en ce sens. Certains ont commencé à connaitre l’Europe à cause des travailleurs immigrés qui sont partis travailler en France ou en Italie.
MLBT : Pourquoi venir ici ?
Henri : Pour l’accueil des philippins! Vous serez invités dans les maisons des locaux à la différence des autres pays asiatiques. Ici, toute excuse est bonne pour faire la fête et s’amuser. Dans une société c’est un vrai programme, ils organisent le meilleur chant, la meilleure danse et font même des échanges de cadeaux pendant ces fameuses « Christmas Party ».
Vous n’avez probablement pas entendu parler des déchirements entre les expats français et les philippins ? Les philippins vous donnent une loyauté en fonction de ce que vous leur donnez comme gentillesse. Certaines familles françaises ont même cherché à emmener leurs employés quand elles quittaient le pays.
Maxence Pezzetta