Laurent Séverac est notre première interview au Vietnam. Il nous reçoit dans sa grande maison qui est aussi son espace de travail. Le rez-de-chaussée contient une table sur laquelle des centaines de flacons en tous genre contiennent les produits finis de son travail : huiles essentielles, liqueurs, vinaigres, épices… A l’étage se trouve les substances à l’état brut.
Il nous informe tout de suite qu’il n’a pas l’habitude de donner de son temps pour faire de la communication, mais nous avons été envoyés par son bon ami Dominique (rencontré plus tôt au Cambodge). Il prend le temps de nous recevoir. A l’inverse des autres interviews, il sera difficile de retranscrire l’interview en direct. Laurent Séverac est un personnage! Il nous a parlé de tout un tas de sujets, dans tous les sens et pendant 3 heures. Il a passé sa vie à travailler sur les huiles essentielles. Aujourd’hui, il a tout un tas d’activités différentes. Il se décrit comme un solitaire, il mange 90% végétarien. Il est fidèle à ses principes et ça se ressent dans ses produits, dans ses méthodes de travail, dans le choix de ses partenaires. Il travaille avec les mêmes personnes depuis 20 ans dans le cadre de son entreprise.
Il a créé la société Aromasia en 1993, il fournit notamment des huiles essentielles et extraits naturels auprès des parfumeurs de Grasse, France. Bon à savoir, trois de ses huiles essentilles sont présentes dans des parfums américains : Tommy Hilfiger, Calvin Klein et Estée Lauder. Il crée des parfums d’ambiance et de signatures olfactives personnalisées et commercialise un diffuseur d’huiles essentielles au Vietnam. A cela s’ajoute les liqueurs « Alcool Séverac » qui sont des liqueurs 100% naturelles. Enfin, toujours dans le 100% naturel, il a créé une gamme d’épices en partenariat avec Didier Corlou.
A la question : « comment es-tu arrivé au Vietnam? », il nous répond que c’est un peu par hasard mais pas tout à fait. Il voulait voyager, il est parti en Malaisie et en Chine. Il voulait faire un pays communiste, s’en est allé au Vietnam en passant par le Laos. « J’ai eu un méga coup de cœur à Vientiane. Il n’y avait pas de voiture dans les rues, rien. C’était vide. Il n’y avait pas de bar, pas de boite de nuit, peu d’activités économiques. » Après quelques temps au Laos à travailler dans le bois et à faire ses recherches sur les huiles, il a une opportunité dans les huiles essentielles. Il faut qu’il aille au Vietnam. Aujourd’hui, s’il est toujours au Vietnam, c’est parce que c’est le pays qu’il connait qui combine le mieux richesse naturelle aromatique et potentiel humain, scientifiques, agronomes, collecteurs, paysans, ferronnier pour faire les alambics, exportation facile,…. le tout à prix encore compétitifs).
Son ambition, adopter les techniques de la biodynamie aux plantes médicinales (pour créer une ligne de tisanes) et composer le plus grand parfum naturel de la planète! Il ne travaille qu’avec des produits 100% naturels : « Je veux appliquer les techniques de biodynamie appliquée aux vins sur notre plantation de 12 hectares……. Parce que quand tu fais un gingembre dans une terre de merde et que tu mets de l’engrais, des pesticides, tu fais un gingembre de merde. Et dans ce cas le gingembre il ne te fait rien du tout (ou presque)».
Vous l’aurez compris, Laurent ne mâche pas ses mots, il nous parle de son travail et du travail au Vietnam :
« MLBT : Dans le boulot, comment ça se passe avec les vietnamiens ? »
L.Severac: Le gouvernement actuel a de gros problèmes de crédibilité économique et de gestion des deniers publics comme jamais. Et ça se ressent dans les relations de travail.. Forcément, si le gouvernement ne donne pas le bon exemple, le monde des affaires n’a plus ou peu de scrupules….
On doit absolument créer des relations de confiance avec ces partenaires viet’s, basé sur le respect mutuel des traditions, l’apport d’une ou de plusieurs techniques, d’un marché stable et d’une fierté d’un travail valorisant la personne. Loin de l’argent, des karaokés, du blingbling, vous sélectionnerez des collaborateurs vietnamiens de grande valeur, fidèles, durs à la tâche, protecteurs. Les vietnamiens respectent la longueur du temps qui donne de la consistance aux choses. Ceux qui n’aiment que l’argent n’aiment pas le long terme…mais attention, ça demande de votre part beaucoup d’abnégation et d’exemplarité. Ce sont des durs, et il faut donc être dur à la souffrance et au travail.
Au Vietnam c’est un combat de tous les jours, beaucoup nous prennent pour le poulet blanc, gras à plumer ; il faut être comme le grand Marcel Cerdan, gentil, de la classe, un grand cœur mais du punch et une bonne droite pour se faire respecter.
Depuis la crise, les fournisseurs ont presque tous tendances à tricher sur la qualité pour conserver le contrat au prix fixé, c’est pénible et fatiguant, on doit tout recontrôler.
J’ai eu l’idée de créer avec 8 autres amis français une association de reforestation en 1998 « Hoan Kiem » pour la reforestation de 83 hectares à 100km nord de Hanoi, pour le financement de 100 cages à poisson, de 2 hectares de plantes maraichères pour la production de graines, pour la fourniture de 30 ruches,… tout ça pour dire que je suis quelqu’un qui fait des choses et non pas quelqu’un qui « parle » et nous n’avons jamais communiqué sur cela.
J’aime bien les vietnamiens et leur dure histoire d’indépendance. Ils ont montré un courage pratiquement unique sur une longue période mais en ce moment il y a une mauvaise ambiance dans le pays au niveau économique, ça changera : mais ça permet de sélectionner les fournisseurs, les clients, voire les copains (également des français bretons qui m’ont court-circuité pour une poignée de dongs, les misérables, les malheureux
MLBT : Qu’est-ce qui a créé ça ?
L.Severac : Ce qui a créé ça c’est la crise économique ! Ils veulent absolument signer le contrat donc ils acceptent et après ils calculent en économisant sur la matière ou la finition des produits. Mais on arrive tout de même à conserver de bons fournisseurs, il faut simplement être un peu plus présen.
MLBT : Mais ils arrivent à fidéliser les clients ?
Séverac : Non, la plupart du temps, ils s’en foutent, ils pensent que les clients sont intarissables ! Après ils demandent à quelqu’un d’autre ! Il y a tellement de gens prêts à acheter qu’ils y arrivent. Moi quand ils exagèrent je leur dis ! Je ne prends pas la marchandise et je ne les paye pas. Mais après tu ne t’en sors plus car tu as payé des avances ! Tu ne peux pas être zen ici. Si t’es zen, ils pensent que tu es un imbécile ! Moi, les gens en qui j’ai confiance, je travaille avec eux depuis des années car ils ont aussi confiance en moi. C’est mutuel.
Le problème c’est qu’ici il n’y a pas d’administratif. Si ça ne rapporte pas d’argent ce n’est pas important. Pourtant il faut des postes qui ne rapportent pas d’argent, c’est l’état qui prend ça en charge normalement. Du coup l’administratif ici ne bosse même pas.
MLBT : Mais du coup, il faut être malhonnête pour gagner de l’argent ?
Séverac : Non, il ne faut pas être malhonnête…. Vous aimez le chocolat ?
S’ensuit une présentation de chocolat naturel qu’il a fait lui-même et qui est, soit-dit en passant, délicieux. Le chocolat est fait à 70% de cacao et 100% naturel. « Personne n’a jamais fait de chocolat comme ça ! » Nous dit Séverac avec son ton de révolutionnaire. Ce qu’il veut avant tout, c’est faire des produits de qualité. Il regrette que la plupart des gens ne se nourrissent que de nourriture industrielle, grasse et aromatisée aux produits chimiques. Il nous raconte qu’il y a de cela 20 ans, son kiné l’a averti qu’il aurait sans doute beaucoup d’arthrite. Il a choisi de devenir presque végétarien et de se nourrir à 80% de fruits et légumes. « Je pratique également les jeûnes complets 4 fois par an pour nettoyer la machine et mieux apprécier les nourritures saines et vins biodynamique !! » Résultat ? Il est propre comme un sou neuf. Nous passons encore une bonne heure à parler des nouvelles techniques d’agricultures et des produits biologiques et naturels. En partant, il nous offre une liqueur de framboise qu’il nous avait fait gouter dans l’après-midi ! «